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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

tous les quarts d’heure. Jamais il ne serait à Niort pour le dîner. Il faisait seller son cheval, lorsque enfin le brigadier parut, suivi de ses deux hommes. Il y avait eu malentendu.

— Bon, bon, ne vous excusez pas, nous n’avons pas le temps, cria furieusement le commissaire central. Il est déjà cinq heures un quart… Empoignons notre individu, et que ça ne traîne pas ! Il faut que nous roulions dans dix minutes.

D’ordinaire, Gilquin était bon homme. Il se piquait, dans ses fonctions, d’une urbanité parfaite. Ce jour-là, il avait même arrêté un plan compliqué, afin d’éviter les émotions trop fortes au frère de madame Correur : ainsi il devait entrer seul, pendant que les gendarmes se tiendraient, avec la voiture, à la porte du jardin, dans une ruelle donnant sur la campagne. Mais ses trois heures d’attente au Lion d’or l’avaient tellement exaspéré, qu’il oublia toutes ces belles précautions. Il traversa le village et alla sonner rudement chez le notaire, à la porte de la rue. Un gendarme fut laissé devant cette porte ; l’autre fit le tour, pour surveiller les murs du jardin. Le commissaire était entré avec le brigadier. Dix à douze curieux effarés regardaient de loin.

À la vue des uniformes, la servante qui avait ouvert, prise d’une terreur d’enfant, disparut en criant ce seul mot, de toutes ses forces :

— Madame ! madame ! madame !

Une femme petite et grasse, dont la face gardait un grand calme, descendit lentement l’escalier.

— Madame Martineau, sans doute ? dit Gilquin d’une voix rapide. Mon Dieu ! madame, j’ai une triste mission à remplir… Je viens arrêter votre mari.

Elle joignit ses mains courtes, tandis que ses lèvres décolorées tremblaient. Mais elle ne poussa pas un cri.