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LES ROUGON-MACQUART.

sais bien que cette question des sucres est très-importante. Il s’agit de toute une branche de l’industrie française. Le malheur est que personne, à la Chambre, ne me paraît avoir étudié la matière à fond.

Rougon, qu’il ennuyait, ne répondait plus que par des hochements de tête. Le jeune député se rapprocha, continua, en donnant à sa figure poupine une subite gravité.

— Moi, j’ai un oncle dans les sucres. Il a une des plus riches raffineries de Marseille… Eh bien ! je suis allé passer trois mois chez lui. J’ai pris des notes, oh ! beaucoup de notes. Je causais avec les ouvriers, je me mettais au courant, enfin !… Vous comprenez, je voulais parler à la Chambre…

Il posait devant Rougon, il se donnait un mal énorme pour entretenir celui-ci des seuls objets qu’il croyait devoir l’intéresser, très-désireux d’ailleurs de se montrer à lui sous un jour d’homme politique solide.

— Et vous n’avez pas parlé ? interrompit Clorinde, que la présence de M. La Rouquette semblait impatienter.

— Non, je n’ai pas parlé, reprit-il d’une voix ralentie, j’ai cru devoir ne pas parler… Au dernier moment, j’ai eu peur que mes chiffres ne fussent pas bien exacts.

Rougon le regarda entre les deux yeux, en disant gravement :

— Savez-vous le nombre des morceaux de sucre que l’on consomme par jour, au café Anglais ?

M. La Rouquette resta un moment ahuri, les yeux écarquillés. Puis, il partit d’un éclat de rire :

— Ah ! très-joli ! très-joli ! cria-t-il. Je comprends, vous plaisantez… Mais c’est la question du sucre, cela ; moi, je parlais de la question des sucres… Très-joli ! Vous me permettez de répéter le mot, n’est-ce pas ?

Il avait de légers bonds de jouissance, au fond de son