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UNE PAGE D’AMOUR.

face du rideau rouge, se trouvaient presque toutes occupées, et un tapage de voix enfantines montait. Des garçons arrivaient par bandes. Il y avait déjà trois Arlequins, quatre Polichinelles, un Figaro, des Tyroliens, des Écossais. Le petit Berthier était en page. Le petit Guiraud, un petit bambin de deux ans et demi, portait son costume de Pierrot d’une façon si drôle, que tout le monde l’enlevait au passage pour l’embrasser.

— Voici Jeanne, dit tout d’un coup madame Deberle. Oh ! elle est adorable.

Un murmure avait couru, des têtes se penchaient, au milieu de légers cris. Jeanne s’était arrêtée sur le seuil du premier salon, tandis que sa mère, encore dans le vestibule, se débarrassait de son manteau. L’enfant portait un costume de Japonaise, d’une singularité magnifique. La robe, brodée de fleurs et d’oiseaux bizarres, tombait jusqu’à ses petits pieds, qu’elle couvrait ; tandis que, au-dessous de la large ceinture, les pans écartés laissaient voir un jupon de soie verdâtre, moirée de jaune. Rien n’était d’un charme plus étrange que son visage fin, sous le haut chignon traversé de longues épingles, avec son menton et ses yeux de chèvre, minces et luisants, qui lui donnait l’air d’une véritable fille d’Yeddo, marchant dans un parfum de benjoin et de thé. Et elle restait là, hésitante, ayant la langueur maladive d’une fleur lointaine qui rêve du pays natal.

Mais derrière elle, Hélène apparut. Toutes deux, en passant brusquement du jour blafard de la rue à ce vif éclat des bougies, clignaient les paupières, comme aveuglées, souriantes pourtant. Cette bouffée chaude, cette odeur du salon où dominait la violette les étouffaient un peu et rougissaient leurs joues fraî-