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UNE PAGE D’AMOUR.

gues épingles qui le traversaient. Alors, un flot de paroles pressées sortit de ses lèvres. Elle avait tout regardé, tout écouté et tout retenu, avec son air bêta de ne rien comprendre. Maintenant, elle se dédommageait d’être restée raisonnable, la bouche cousue et les yeux indifférents.

— Tu sais, maman, c’était un vieux bonhomme, la barbe grise, qui faisait aller Polichinelle. Je l’ai bien vu, lorsque le rideau s’est écarté… Il y avait le petit Guiraud qui pleurait. Hein ? est-il bête ! Alors, on lui a dit que le gendarme viendrait lui mettre de l’eau dans sa soupe, et il a fallu l’emporter, tant il criait… C’est comme au goûter, Marguerite s’est tout taché son costume de laitière avec de la confiture. Sa maman l’a essuyée, en criant : « Oh ! la sale ! » Marguerite s’en était fourré jusque dans les cheveux… Moi, je ne disais rien, mais je m’amusais joliment à les regarder tomber sur les gâteaux. Elles sont mal élevées, n’est-ce pas, petite mère ?

Elle s’interrompit quelques secondes, absorbée par un souvenir ; puis, elle demanda d’un air pensif :

— Dis donc, maman, est-ce que tu as mangé de ces gâteaux qui étaient jaunes et qui avaient de la crème blanche dedans ? Oh ! c’était bon ! c’était bon !… J’ai gardé tout le temps l’assiette à côté de moi.

Hélène n’écoutait pas ce babil d’enfant. Mais Jeanne parlait pour se soulager, la tête trop pleine. Elle repartit, avec une abondance extraordinaire de détails sur le bal. Les moindres petits faits prenaient une importance énorme.

— Tu ne t’es pas aperçue, toi, quand on a commencé, voilà ma ceinture qui s’est défaite. Une dame, que je ne connais pas, m’a mis une épingle. Je lui ai