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LES ROUGON-MACQUART.

des pensionnats de demoiselles, noirs et ensommeillés, des tables d’hôte dont les cuisines luisaient encore. Pas une boutique ne trouait l’ombre du rayon de sa vitrine. Et c’était une grande joie pour Hélène et Henri que cette solitude. Il n’avait point osé lui offrir le bras. Jeanne marchait entre eux, au milieu de la chaussée, sablée comme une allée de parc. Les maisons cessaient, des murs s’étendaient, au-dessus desquels retombaient des manteaux de clématites et des touffes de lilas en fleur. De grands jardins coupaient les hôtels, une grille, par moments, laissait voir des enfoncements sombres de verdure, où des pelouses d’un ton plus tendre pâlissaient parmi les arbres ; tandis que, dans des vases que l’on devinait confusément, des bouquets d’iris embaumaient l’air. Tous trois ralentissaient le pas, sous la tiédeur de cette nuit printanière qui les trempait de parfums ; et lorsque Jeanne, par un jeu d’enfant, s’avançait le visage levé vers le ciel, elle répétait :

— Oh ! maman, vois donc, que d’étoiles !

Mais, derrière eux, le pas de la mère Fétu semblait être l’écho des leurs. Elle se rapprochait ; on entendait ce bout de phrase latine : « Ave Maria, gratia plena », sans cesse recommencé sur le même bredouillement. La mère Fétu disait son chapelet en rentrant chez elle.

— Il me reste une pièce, si je la lui donnais ? demanda Jeanne à sa mère.

Et, sans attendre la réponse, elle s’échappa, courut à la vieille, qui allait s’engager dans le passage des Eaux. La mère Fétu prit la pièce, en invoquant toutes les saintes du paradis. Mais elle avait saisi en même temps la main de l’enfant ; elle la retenait, et changeant de voix :