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UNE PAGE D’AMOUR.

Des heures, des heures passaient, chaque minute apportait un siècle. La pluie tombait sans relâche, du même train tranquille, comme ayant tout le temps, l’éternité, pour noyer la plaine. Jeanne dormait. Près d’elle, sa poupée, pliée sur la barre d’appui, les jambes dans la chambre et la tête dehors, semblait une noyée, avec sa chemise qui se collait à sa peau rose, ses yeux fixes, ses cheveux ruisselants d’eau ; et elle était maigre à faire pleurer, dans sa posture comique et navrante de petite morte. Jeanne, endormie, toussait ; mais elle n’ouvrait plus les yeux, sa tête roulait sur ses bras croisés, la toux s’achevait en un sifflement, sans qu’elle s’éveillât. Il n’y avait plus rien, elle dormait dans le noir, elle ne retirait même pas sa main, dont les doigts rougis laissaient couler des gouttes claires, une à une, au fond des vastes espaces qui se creusaient sous la fenêtre. Cela dura encore des heures, des heures. À l’horizon, Paris s’était évanoui comme une ombre de ville, le ciel se confondait dans le chaos brouillé de l’étendue, la pluie grise tombait toujours, entêtée.