Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
LES ROUGON-MACQUART.

riait du dos, éclatant dans sa tunique, qu’il ne déboutonnait jamais à la cuisine, par respect pour madame.

— Ça vaut mieux que les raves du père Rouvet, finit-il par dire, la bouche pleine.

Ça, c’était un souvenir du pays. Tous deux crevèrent de rire ; et Rosalie se retint après la table, pour ne pas tomber. Un jour, c’était avant leur première communion, Zéphyrin avait volé trois raves au père Rouvet ; elles étaient dures, les raves, oh ! dures à se casser les dents ; mais Rosalie, tout de même, avait croqué sa part, derrière l’école. Alors, toutes les fois qu’ils mangeaient ensemble, Zéphyrin ne manquait pas de dire :

— Ça vaut mieux que les raves du père Rouvet.

Et, toutes les fois, Rosalie crevait si fort, qu’elle cassait le cordon de son jupon. On entendit le cordon qui partait.

— Hein ! tu l’as cassé ? dit le petit soldat triomphant.

Il envoya les mains, il voulait savoir. Mais il reçut des tapes.

— Reste tranquille, tu ne le raccommoderas pas, peut-être… C’est bête, de me casser mon cordon. J’en remets un chaque semaine.

Puis, comme il tâtait tout de même, elle lui prit entre ses gros doigts une pincée de chair sur la main et la tortilla. Cette gentillesse allait encore l’exciter, lorsque, d’un coup d’œil furieux, elle lui montra madame, qui les regardait. Sans trop se troubler, il se gonfla la joue d’une énorme bouchée, clignant les paupières de son air de troupier dégourdi, faisant mine de dire que les femmes ne détestent pas ça, même les dames. Bien sûr, quand les gens s’aiment, on a toujours du plaisir à les voir.