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Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/349

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UNE PAGE D’AMOUR.

-chaud, une bouche de calorifère y soufflait une haleine étouffante. Les larges glaces étaient fermées, on apercevait l’étroit jardin en toilette d’hiver, pareil à une grande sépia traitée avec un fini merveilleux, détachant sur la terre brune les petites branches noires des arbres. Les deux sœurs se disputaient vertement.

— Laisse-moi donc tranquille ! criait Juliette, notre intérêt bien entendu est de soutenir la Turquie.

— Moi, j’ai causé avec un Russe, répondit Pauline tout aussi animée. On nous aime à Saint-Pétersbourg, nos alliés véritables sont de ce côté.

Mais Juliette prit un air grave, et, croisant les bras :

— Alors, qu’est-ce que tu fais de l’équilibre européen ?

La question d’Orient passionnait Paris, la conversation courante était là, toute femme un peu répandue ne pouvait décemment parler d’autre chose. Aussi, depuis deux jours, madame Deberle se plongeait-elle avec conviction dans la politique extérieure. Elle avait des idées très-arrêtées sur les différentes éventualités qui menaçaient de se produire. Sa sœur Pauline l’agaçait beaucoup, parce qu’elle se donnait l’originalité de soutenir la Russie, contrairement aux intérêts évidents de la France. Elle voulait la convaincre, puis elle se fâchait.

— Tiens ! tais-toi, tu parles comme une sotte… Si seulement tu avais étudié la question avec moi…

Elle s’interrompit, pour saluer Hélène, qui entrait.

— Bonjour, ma chère. Vous êtes bien gentille d’être venue… Vous ne savez rien. On parlait ce matin d’un ultimatum. La séance de la Chambre des communes a été très-agitée.

— Non, je ne sais rien, répétait Hélène, que la question stupéfiait. Je sors si peu !