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LES ROUGON-MACQUART.

D’ailleurs, Juliette n’avait pas attendu la réponse. Elle expliquait à Pauline pourquoi il fallait neutraliser la mer Noire, tout en nommant de temps à autre des généraux anglais et des généraux russes, familièrement, avec une prononciation très-correcte. Mais Henri venait de paraître, tenant à la main un paquet de journaux. Hélène comprit qu’il descendait pour elle. Leurs yeux s’étaient cherchés, ils avaient appuyé fortement leurs regards l’un sur l’autre. Ensuite ils s’enveloppèrent tout entiers dans la longue et silencieuse poignée de main qu’ils se donnèrent.

— Qu’y a-t-il dans les journaux ? demanda fiévreusement Juliette.

— Dans les journaux, ma chère, dit le docteur ; mais il n’y a jamais rien.

Alors, on oublia un instant la question d’Orient. Il fut, à plusieurs reprises, question de quelqu’un sur qui l’on comptait et qui n’arrivait pas. Pauline faisait remarquer que trois heures allaient sonner. Oh ! il viendrait, affirmait madame Deberle ; il avait trop formellement promis ; et elle ne nommait personne. Hélène écoutait sans entendre. Tout ce qui n’était pas Henri ne l’intéressait point. Elle n’apportait plus d’ouvrage, elle faisait des visites de deux heures, étrangère à la conversation, la tête occupée souvent du même rêve enfantin, imaginant que les autres disparaissaient par un prodige et qu’elle restait seule avec lui. Cependant, elle répondit à Juliette qui la questionnait, tandis que le regard d’Henri, toujours posé sur le sien, la fatiguait délicieusement. Il passa derrière elle, comme pour relever un des stores, et elle sentit bien qu’il exigeait un rendez-vous, au frisson dont il effleura sa chevelure. Elle consentait, elle n’avait plus la force d’attendre.