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LES ROUGON-MACQUART.

d’une pâleur livide, et les convulsions se déclarèrent.

— Ne la lâchez pas, reprit le docteur. Prenez-lui l’autre main.

Il courut au guéridon, sur lequel, en entrant, il avait posé une petite pharmacie. Il revint avec un flacon, qu’il fit respirer à l’enfant. Mais ce fut comme un terrible coup de fouet, Jeanne donna une telle secousse, qu’elle échappa des mains de sa mère.

— Non, non, pas d’éther ! cria celle-ci, avertie par l’odeur. L’éther la rend folle.

Tous deux suffirent à peine à la maintenir. Elle avait de violentes contractions, soulevée sur les talons et sur la nuque, comme pliée en deux. Puis, elle retombait, elle s’agitait dans un balancement qui la jetait aux deux bords du lit. Ses poings étaient serrés, le pouce fléchi vers la paume ; par moments, elle les ouvrait et, les doigts écartés, elle cherchait à saisir des objets dans le vide pour les tordre. Elle rencontra le châle de sa mère, elle s’y cramponna. Mais ce qui surtout torturait celle-ci, c’était, comme elle le disait, de ne plus reconnaître sa fille. Son pauvre ange, au visage si doux, avait les traits renversés, les yeux perdus dans leurs orbites, montrant leur nacre bleuâtre.

— Faites quelque chose, je vous en supplie, murmura-t-elle. Je ne me sens plus la force, monsieur.

Elle venait de se rappeler que la fille d’une de ses voisines, à Marseille, était morte étouffée dans une crise semblable. Peut-être le médecin la trompait-il pour l’épargner. Elle croyait, à chaque seconde, recevoir au visage le dernier souffle de Jeanne, dont la respiration entrecoupée s’arrêtait. Alors, navrée, bouleversée de pitié et de terreur, elle pleura. Ses larmes tombaient sur la nudité innocente de l’enfant, qui avait rejeté les couvertures.