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d’y produire des diversités, qui rompent l’uniformité d’une matière unique, ou d’une seule couleur. On peut regarder les variétés dont on vient de parler, comme des espèces de teintes et de nuances qui contribuent, tantôt pur l’apparence d’une solidité excessive, à donner un caractère plus grave ou plus imposant à la masse totale d’un monument, tantôt, par l’effet que produit naturellement la variété, à donner ou plus de légèreté, ou plus de gaieté à ses aspects ; tantôt enfin, par un emploi bien raisonné, à indiquer aux yeux les destinations différentes des édifices ou de leurs parties.

Quelques architectes ont su faire du genre rustique l’emploi le plus heureux et le mieux entendu, comme quelques autres en ont fait un emploi immodéré, et en ont, par cet excès, rendu l’application insignifiante. Au nombre de ces derniers, il faut mettre les grands architectes florentins des quinzième et seizième siècles (voy. Bossage). Mais, à la tête des premiers, on doit citer Palladio, qu’on ne sauroit trop consulter et imiter, pour le goût sage, intelligent et gracieux avec lequel il a su mêler, combiner et répartir adroitement, dans les façades de ses palais, toutes les sortes de rustiques, avec des inventions toujours nouvelles, toujours diverses, et jamais capricieuses. Voyez Palladio.

Quoique le genre rustique, à bossage, ou de toute autre manière, puisse, ainsi que les plus nombreux exemples en font foi, s’appliquer dans une mesure quelconque à tous les édifices ou à leurs parties, le goût enseigne toutefois qu’il y en a auxquels il convient mieux qu’à d’autres, et qu’il en est auxquels il convient exclusivement. Tels sont, pour en citer quelques-uns, ceux qui, de leur nature, repoussent toute idée de noblesse, de richesse, d’élégance, d’agrément, et qui veulent emprunter à l’apparence d’une solidité énergique, la caractère de force, de sérieux, de sévère, qui appartient à leur destination. De ce nombre seront des prisons, des casernes, des hospices, des portes de villes de guerre, des greniers, des halles, des marchés, etc.

Il est d’autres monumens, dont le genre rustique fera, au contraire, l’agrément, parce qu’employé avec goût et intelligence, il s’assortit merveilleusement à leur emploi et au caractère pittoresque qu’ils comportent. Il nous suffira de nommer ici les châteaux d’eaux, les réservoirs, les fontaines, les grottes, etc. , tous édifices qu’un genre de construction simple, et de matériaux dressés et bien polis, ne distingueroit pas suffisamment des autres. Dans les jardins surtout, et là où l’effet de l’architecture doit s’unir à l’effet des eaux tombantes ou jaillissantes, on aime que quelque chose d’irrégulier, et qui semble moins sentir la main de l’art, s’accorde avec ce que la nature fait elle-même, dans les lieux qu’elle a destinés à servir de réceptacle ou de théâtre aux eaux.

C’est là que des pierres rustiquement taillées, des colonnes qui semblent avoir été enveloppées par des stalactites naturels, des ordonnances entremêlées de rocaille, des imitations de plantes aquatiques, et tous les accessoires du genre rustique, trouveront leur emploi, et pourront produire des compositions ingénieuses.

RUSTIQUER, v. act. Ce verbe exprime l’action par laquelle on donne aux matériaux l’apparence rustique dont on a parlé dans l’article précédent.

On se sert aussi de ce terme, dans les ouvrages de la sculpture. Ainsi, on rustique beaucoup d’accessoires des statues ou des bas-reliefs, et on le fait, pour les détacher des parties où le marbre reçoit un plus ou moins grand poli. C’est une sorte de couleur qui produit, dans la même matière, de légères oppositions, et fait mieux ressortir l’effet des chairs ou des draperies. Ainsi, lorsqu’on veut qu’une partie d’étoffe serve de contraste à une autre, on lui donne, au moyen d’une gradine plus ou moins dentelée, une apparence de rudesse. On rustique plus fortement les rochers, les terrains, les troncs d’arbres. Pour ces différens effets on se sert, ou de la pointe, ou d’un outil dentelé.

Dans le bâtiment, c’est ordinairement avec la pointe qu’on pique la pierre qu’on veut rustiquer. Il y a aussi des marteaux dentelés qui effectuent sur la matière un travail plus ou moins sensible.