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daigner le suffrage de ses peuples, quelle auroit pu s’attacher, à distraire, à abrutir, à craindre ses enfans, qu’il ne falloit que bien instruire. Le moment des beaux arts n’étoit point encore arrivé pour nous. La musique même, celui de tous qui a le don de séduire le plus vite, ne put causer alors qu’une impression momentanée & légère, qui fut aisément effacée par le premier objet de distraction.

Jean-Antoine Baïf, né à Venise pendant le cours de l’ambassade de Lazare Baïf, son père, & de retour en France après sa mort, y fit pour la musique les mêmes tentatives que le cardinal Riari avoit faites à Rome pour les spectacles en généraL Baïf étoit sans protecteurs, sans fortune, & vraisemblablement sans manège.

On sçait quelle fut la confiance qu’il opposa dans sa jeunesse à la plus humiliante pauvreté. La disette des choses les plus nécessaires à la vie ne put le distraire de ses études. Le fils d’un ambassadeur, que François Ier avoit été déterrer comme un homme rare, qui, pendant les loisirs de son emploi, avoit composé des livres estimés, qui, à sa mort, n’avoit rien laissé qu’une bonne renommée : le fils, dis-je, d’un pareil ministre, n’avoit à Paris que la moitié d’un mauvais lit de deux pieds, que Ponsard & lui se partageoient successivement. L’un se couchoit quand l’autre se levoit. Ils bravoient ainsi dans le sein des muses les rigueurs du sort & l’injustice de la fortune.

Baïf avoit reçu à Venise sous les yeux de son père, les commencements d’une bonne éducation ; il y avoit appris la musique, qu’il avoit depuis cultivée. Il aimoit les arts en philosophe, il auroit voulu les répandre dans sa patrie. Au milieu même de l’adversité il osa en former le projet. Le goût lui tînt lieu de crédit & de pouvoir. Il établit chez lui une espèce d’académie de musique, où on exécuta des compositions imitées de celles que Baïf avoit entendues à Venise. Ces sortes de concerts firent quelque sensation dans le public. Les gens de la bonne compagnie, qui sont toujours de droit connoisseurs, voulurent en juger par eux-mêmes, & leur jugement fut favorable. La cour où ils se répandirent eut un mouvement de curiosité dont on profita ; elle se laissa entraîner à ces concerts & consentit à les entendre. Henri III même alla chez Baïf ; mais les courtisans, le roi, ses mignons ne prirent pas plus d’intérêt à cette nouveauté qu’on n’en prend pour l’ordinaire aux curiosités de la foire. Baïf eut du plaisir sans en donner. Il ne jouit point de la douceur dont il étoit digne, de faire passer dans l’ame de ses contemporains un goût utile. Il auroit fallu au cardinal Riari un Léon X ; & à Baïf un Louis XIV.

Pour qu’un bel établissement soit goûté, s’achève, se perfectionne, outre l’esprit, les talents & les vues dans le citoyen qui le projette, on a besoin encore d’un coup-d’œil juste, d’un vif amour pour le grand, d’un penchant invincible pour la gloire dans le souverain à qui on le propose.

On peut se passer de toutes ces qualités, qui concourent rarement ensemble, pour mettre en crédit un établissement médiocre. On n’a qu’à substituer à leur place beaucoup de patience, un fonds inépuisable d’intrigue, une ame bien basse, un front d’airain. Les ressources du manège dans les états même les mieux policés, sont bien supérieures pour le succès, aux efforts redoublés de la réflexion & du génie.

Des ballets allégoriques.

Nous avons vu que les ballets poétiques étoient ou allégoriques, ou moraux, ou bouffons. Ce n’est que par des exemples que je crois pouvoir faire connoître ces trois différentes branches de ce grand genre.

Au mariage de madame Christine de France avec le duc de Savoye, on donna un spectacle de la première espèce. Le gris-de-lin en fut le sujet, parce qu’il étoit la couleur favorite de la princesse, à qui on vouloit plaire.

Au lever de la toile, l’amour parut & déchira son bandeau. Libre alors de la contrainte à laquelle ses yeux avoient été assujettis, il appella la lumière, & l’engagea par les plus tendres chants à se répandre sur les astres, le ciel, l’air, la terre & l’eau, afin qu’en leur donnant mille beautés différentes, par la variété des couleurs ; il lui fût aisé de choisir la plus agréable.

Junon entend les vœux de l’amour & les remplit. Iris vole par ses ordres dans les airs ; elle y étale les couleurs les plus vives ; l’amour frappé de ce brillant spectacle, après en avoir joui, se décide pour le gris-de lin, comme la couleur la plus douce & la plus parfaite. Il veut qu’à l’avenir il soit le symbole de l’amour sans fin. Il ordonne que toutes les campagnes en parent les fleurs, qu’elle brille dans les pierres les plus précieuses, que les oiseaux les plus rares en raniment leurs plumages, qu’elle serve d’ornement aux habits les plus galants des mortels.

Toutes ces choses soutenues par les charmes de la musique & par les graces de la danse, embellies par les plus éclatantes décorations & par un nombre infini de machines surprenantes, formèrent les parties & l’ensemble de ce ballet allégorique.

Des ballets moraux.

L’anniversaire de la naissance du cardinal de Savoye fut l’occasion d’une fête brillante qui occupa en 1634 la cour de Turin. On y représenta un grand ballet, dont le sujet étoit la verita nemica, della apparenza sollevata dal tempo ; ce qui veut dire, la vérité ennemie des apparences soutenue par le temps.

Après une ouverture d’un beau caractère, on entendit un grand chœur de chant & de danse, qui étoit composé des faux bruits & des soupçons qui précèdent l’apparence & le mensonge.

Le fond du théâtre s’ouvrit. Sur un grand nuage

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