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Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/337

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BAL BAL


continue Sulli, le métier de courtisan ; dans lequel j’étois fort neuf. Elle eut la bonté de me mettre de toutes ses parties ; & je me souviens qu’elle voulut bien m’apprendre elle-même, le pas d’un ballet, qui fut exécuté avec beaucoup de magnificence.

Aussi la danse fut-elle un des amusements favoris de Henri IV. Il sembloit trouver dans les charmes de cet exercice, lorsqu’il fut parvenu au trône, le dédommagement d’une partie des travaux qu’il lui avoit coûtés à conquérir. Sulli, le grave Sulli, étoit l’ordonnateur des spectacles qui amusoient ce bon prince ; mais il les lui offrit en ministre philosophe, & Henri IV les recevoit en grand roi.

On lui annonça un jour, pendant une de ces fêtes, la prise d’Amiens par l’armée espagnole. Ce coup est du ciel, dit-il, c’est assez fait le roi de France ; il est temps de faire le roi de Navarre ; & se retournant du côté de la belle Gabrielle, qui, comme lui, portoit les habits de la fête, & qui fondoit en larmes, lui dit : ma maîtresse, il faut quitter nos armes, & monter à cheval, pour faire une autre guerre. Le jour même en effet, il rassembla quelques troupes, marcha à Amiens avec elles, & le premier.

Les grands rois donnent toujours leur ton aux cours même des autres rois. On dansa dans touts les états de l’Europe, parce que cet exercice étoit à la mode à la cour de Henri IV. Je trouve dans les mémoires de ce temps, qu’on y exécuta plus de quatre-vingt ballets depuis 1589 jusqu’en 1610, beaucoup de bals magnifiques, & un très-grand nombre de mascarades fort singulieres.

Ce bon roi avoit une sorte de passion pour ce genre d’amusement. Peut-être est-ce durant son règne, que les François ont le plus dansé, & qu’ils se sont le mieux battus.

On pourroit comparer l’espèce particulière d’hommes qui peuplent la cour des rois, aux différentes parties qui composent ces beaux cabinets de glaces qu’a inventés le luxe moderne. Ces grands trumeaux si semblables les uns aux autres que l’art a divisés & qui les réunit, sont toujours prêts à recevoir & à rendre l’empreinte de la figure qui les frappe. Ils en deviennent la copie, la peignent, la répètent, la multiplient. Ils ne sont rien par eux-mêmes. Ils n’existent que par elle & pour elle.

Henri IV joignoit à un bon esprit une galanterie cavalière & une gaieté franche. Tels parurent les courtisans qui l’entouroient. La mauvaise santé de Louis XIII le rendoit sombre. Sa cour fut triste. On fit en vain des efforts pour la sortir de l’excès de langueur dans laquelle elle étoit plongée. Le mal étoit incurable ; parce que le principe subsistoit toujours, il arriva alors ce qui arrive communément quand on cherche à se défaire d’un défaut habituel sans en attaquer la cause. On le déguise pour un temps ; ou, si l’on s’en débarrasse, ce n’est qu’en lui substituant un défaut contraire.

Aussi ne cessa-t-on d’être triste à la cour de Louis XIII que pour y descendre jusqu’à une sorte de joie basse, pire cent fois que la tristesse. Presque touts les grands ballets de ce temps qui étoient les seuls amusemens du roi & des courtisans, ne furent que de froides allusions, des compositions triviales, des fonds misérables. La plaisanterie la moins noble & du plus mauvais goût s’empara pour lors sans contradiction du palais de nos rois. On croyoit s’y être bien réjoui, lorsqu’on y avoit exécuté le ballet de maître Galimathias, pour le grand bal de la douairière de Billebakault & de son fanfan de Sotteville.

On applaudissoit au duc de Nemours qui imaginoit de pareils sujets ; & les courtisans toujours persuadés que le lieu qu’ils habitent est le seul lieu de la terre où le bon goût réside, regardoient en pitié toutes les nations qui ne partageoient point avec eux des divertissements aussi délicats.

La reine avoit proposé au cardinal de Savoye, qui étoit pour lors chargé en France des négociations de la cour, de donner au roi une fête de ce genre. La nouvelle s’en répandit, & les courtisans en rirent. Ils trouvoient du dernier ridicule qu’on s’adressât à de plats montagnards pour divertir une cour aussi polie que l’étoit la cour de France.

On dit au cardinal de Savoie les propos courans. Il étoit magnifique, & il avoit auprès de lui le comte Philippe d’Agélie, dont j’ai déjà parlé. Il accepta avec respect la proposition de la reine, & il donna à Mouceaux un grand ballet, sous le titre de gli habitatori di monti, ou les montagnards.

Le théâtre représentoit cinq grandes montagnes. On figuroit par cette décoration les monts venteux, les montagnes résonnantes où habitent les échos, les monts ardents, les monts lumineux, & les montagnes ombrageuses.

Le milieu du théâtre représentoit le champ de la gloire, dont touts les habitants de ces cinq montagnes prétendoient s’emparer.

La renommée ridicule, celle qui fait les nouvelles de la canaille, vêtue en vieille, montée sur un âne & portant une trompette de bois, fit l’ouverture du ballet par un récit qui en exposa le sujet.

Alors une des montagnes s’ouvrit, & un tourbillon de vents en sortit avec impétuosité. Les quadrilles qui formoient cette entrée étoient vêtues de couleur de chair ; touts ceux qui les composoient portoient des moulins, des soufflets qui, agités, rendoient le sifflement des vents.

La Nymphe Echo qui fit le récit de la seconde entrée, amena les habitants des montagnes résonnantes. Ils portoient un tambour à la main, une cloche pour ornement de tête, & leurs habits étoient couverts de grelots de différents tons, qui formoient ensemble une harmonie gaie & bruyante. Elle s’ajustoit à la mefure des airs de l’orchestre, en suivant les mouvements cadancés de la danse.

Les habitants des montagnes lumineuses firent la troisième entrée. Ils étoient vêtus de lanternes de diverses couleurs & conduits par le mensonge. Ce