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BAL BAL


jouement & la volupté, le ballet est terminé par une contre-danse générale.

Il est aisé de s’appercevoir que ce ballet n’est qu’une combinaison des scènes les plus saillantes de plusieurs drames de notre théâtre. Ce sont des tableaux des meilleurs maîtres que j’ai pris soin de réunir.

Le premier est pris de M. Diderot ; le second offre un coup de théâtre de mon imagination, je veux parler de l’instant où Fernand lève le bras sur Clitandre. Celui qui le suit est tiré de Mahomet II lorsqu’il veut poignarder Irene, & qu’elle lui dit en volant au-devant du coup :

Ton bras est suspendu, qui l’arrête ? ose tout ;
Dans un cœur tout à toi laisse tomber le coup.

La scène de dépit, les lettres déchirées & les portraits rendus avec mépris, présentent la scène du dépit amoureux de Moliere. Le raccommodement de Fernand & d’Inès n’est autre chose que celui de Mariane & de Valere du Tartuffe, ménagés adroitement par Dorine. La feinte jalousie d’Inès est un épisode de pure invention. L’égarement de Fernand, sa rage, sa fureur, son défespoir & son accablement sont l’image des fureurs d’Oreste de l’Andromaque de Racine. La reconnoissance enfin est celle de Rhadamiste & Zénobie de M. Crébillon. Tout ce qui lie ces tableaux pour n’en former qu’un seul est de moi.

On voit que ce ballet n’est exactement qu’un essai que j’ai voulu faire pour sonder le goût du public, & pour me convaincre de la possibilité qu’il y a d’associer le genre tragique à la danse. Tout eut du succès dans ce ballet, sans en excepter même la scène du dépit, jouée partie assis & partie debout ; elle parut aussi vive, aussi animée & aussi naturelle que toutes les autres. Il y a dix mois que l’on voit ce spectacle & qu’on le voit avec plaisir ; effet certain de la danse en action ; elle paroît toujours nouvelle, parce qu’elle parle à l’ame, & qu’elle intéresse également le cœur & les yeux.

J’ai passé légèrement sur les parties de détail, pour épargner l’ennui qu’elles auroient pu causer ; & je vais finir par quelques réflexions sur l’entêtement, la négligence & la paresse des artistes, & sur la facilité du public à céder aux impressions de l’habitude.

Que l’on consulte touts ceux qui applaudissent indifféremment, & qui croiroient avoir perdu l’argent qu’ils ont donné à la porte, s’ils n’avoient frappé des pieds ou des mains ; qu’on leur demande, dis-je, comment ils trouvent la danse & les ballets ? Miraculeux, répondront-ils, ils sont du dernier bien ; & les arts agréables sont étonnans. Représentez-leur qu’il y a des changements à faire, que la danse est froide, que les ballets n’ont d’autre mérite que celui du dessin, que l’expression y est négligée, que la pantomime est inconnue, que les plans sont vuides de sens, que l’on s’attache à peindre des sujets trop minces ou trop vastes, & qu’il y auroit une réforme considérable à faire au théâtre, ils vous traiteront de stupide & d’insensé ; ils ne pourront s’imaginer que la danse & les ballets puissent leur procurer des plaisirs plus vifs ». Que l’on continue, ajouteront-ils, à faire de belles pirouettes, de beaux entrechats ; que l’on se tienne longtemps sur la pointe du pied pour nous avertir des difficultés de l’art ; qu’on remue toujours les jambes avec la même vitesse, & nous serons contens. Nous ne voulons point de changement ; tout est bien, & l’on ne peut rien faire de plus agréable. « Mais la danse, poursuivront les gens de goût, ne vous cause que des sensations médiocres, & vous en éprouveriez de bien plus vives, si cet art étoit porté au degré de perfection où il peut atteindre.

Nous ne nous soucions pas, répondront-ils, que la danse & les ballets nous attendrissent, qu’ils nous fassent verser des larmes ; nous ne voulons pas que cet art nous occupe sérieusement ; le raisonnement lui ôteroit ses charmes ; c’est moins à l’esprit à diriger ses mouvemens qu’à la folie ; le bon sens l’anéantiroit ; nous prétendons rire aux ballets, causer aux tragédies, & parler petites maisons, petits soupers & équipages à la comédie ».

Voilà un systême assez général. Est-il possible que le génie créateur soit toujours persécuté ? Soyez ami de la vérité, c’est un titre qui révolte touts ceux qui la craignent. M. de Cahusac dévoile les beautés de notre art, il propose des embellissemens nécessaires ; il ne veut rien ôter à la danse ; il ne cherche, au contraire, qu’à tracer un chemin sûr dans lequel les danseurs ne puissent s’égarer ; on dédaigne de le suivre. M. Diderot, ce philosophe ami de la nature, c’est-à-dire, du vrai & du beau simple, cherche également à enrichir la scène françoise d’un genre qu’il a moins puisé dans son imagination que dans l’humanité ; il voudroit substituer la pantomime aux manières ; le ton de la nature au ton ampoulé de l’art, les habits simples aux colifichets & à l’oripeau ; le vrai au fabuleux ; l’esprit & le bon sens au jargon entortillé, à ces petits portraits mal peints qui font grimacer la nature & qui l’enlaidissent ; il voudroit, dis-je, que la comédie françoise méritât le titre glorieux de l’école des mœurs ; que les contrastes fussent moins choquans & ménagés avec plus d’art ; que les vertus enfin n’eussent pas besoin d’être opposées aux vices pour être aimables & pour séduire, parce que ces ombres trop fortes, loin de donner de la valeur aux objets & de les éclairer, les affoiblissent & les éteignent ; mais touts ses efforts sont impuissants.

Le traité de M. de Cahusac sur la danse est aussi nécessaire aux danseurs, que l’étude de la chronologie est indispensable à ceux qui veulent écrire l’histoire ; cependant il a été critiqué des personnes de l’art, il a même excité les fades plaisanteries de ceux qui, par de certaines raisons, ne pouvoient ni le lire ni l’entendre. Combien le mot pantomime

A a a ij.