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n’a-t-il pas choqué touts ceux qui dansent le sérieux ? Il seroit beau, disoient-ils, de voir danser ce genre en pantomime ! avouez, Monsieur, qu’il faut absolument ignorer la fignification du mot, pour tenir un tel langage. J’aimerois autant que l’on me dit, je renonce a l’esprit ; je ne veux point avoir d’ame, je veux être brute toute la vie.

Plusieurs danseurs qui se récrient sur l’impossibilité qu’il y auroit de joindre la pantomime à l’exécution méchanique, & qui n’ont fait aucune tentative ni aucun effort pour y réussir, attaquoient encore l’ouvrage de M. de Cahusac avec des armes bien foibles. Ils lui reprochoient de ne point connoître la méchanique de l’art, & concluoient delà que ses raisonnements ne portoient sur aucuns principes. Quels discours ! est-il besoin de sçavoir faire la gargouillade & l’entrechat, pour juger sainement des effets de ce spectacle, pour sentir ce qui lui manque, & pour indiquer ce qui lui convient ? Faut-il être danseur pour s’appercevoir du peu d’esprit qui règne dans un pas de deux, des contre-sens qui se font habituellement dans des ballets, du peu d’expression des exécutans, & de la médiocrité des compositeurs ? Que diroit - on d’un auteur qui ne voudroit pas le soumettre au jugement du parterre, parce que ceux qui le composent n’ont pas tous le talent de faire des vers ?

Si M. de Cahusac s’étoit attaché aux pas de la danse, aux mouvements compassés des bras, aux enchaînements & aux mélanges compliqués des temps, il auroit couru les risques de s’égarer ; mais il a abandonné toutes ces parties grossières à ceux qui n’ont que des jambes & des bras. Ce n’est pas pour eux qu’il a prétendu écrire, il n’a traité que la poétique de l’art ; il en a saisi l’esprit & le caractère ; malheur à touts ceux qui ne peuvent ni le goûter ni l’entendre ! disons la vérité, le genre qu’il propose est difficile, mais en est-il moins beau ? C’est le seul qui convienne à la danse & qui puisse l’embellir.

Les grands comédiens seront du sentiment de M. Diderot ; les médiocres seront les seuls qui s’élèveront contre le genre qu’il indique ; pourquoi ? C’est qu’il est pris dans la nature, c’est qu’il faut des hommes pour le rendre, & non pas des automates ; c’est qu’il exige des perfections qui ne peuvent s’acquérir, si l’on n’en porte le germe en soi-même, & qu’il n’est pas seulement question de débiter, mais qu’il faut sentir vivement & avoir de l’ame.

Il faudroit jouer, disois-je un jour à un comédien, le Père de famille & le Fils naturel. Ils ne seroient point d’effet au théâtre, me répliqua-t-il. Avez vous lu ces deux drames ? oui, me répondit-il. Eh bien, n’avez-vous pas été ému, votre ame n’a-t-elle point été affectée, votre cœur ne s’est-il pas attendri ; & vos yeux ont-ils pu refuser des larmes aux tableaux simples, mais touchans, que l’auteur a peints si naturellement ? J’ai éprouvé, me dit-il, touts ces mouvements. Pourquoi donc, lui répondis-je, doutez vous de l’effet que ces pièces produiroient au théâtre, puisqu’elles vous ont séduit, quoique dégagées des charmes de l’illusion que leur prêteroit la scène, & quoique privées de la nouvelle force qu’elles acquerroient étant jouées par de bons acteurs ? Voilà la difficulté ; il seroit rare d’en trouver un grand nombre, continua-t-il, capable de jouer ces pièces ; ces scènes simultanées seroient embarrassantes à bien rendre ; cette action pantomime seroit l’écueil contre lequel la plupart des comédiens échoueroient. La scène muette est épineuse, c’est la pierre de touche de l’auteur. Ces phrases coupées, ces sens suspendus, ces soupirs, ces sons a peine articulés demanderoient une vérité, une ame, une expression & un esprit qu’il n’est pas permis à tout le monde d’avoir ; cette simplicité dans les vêtemens dépouillant l’acteur de l’embellissement de l’art, le laisseroit voir tel qu’il est ; sa taille n’étant plus relevée par l’élégance de la parure, il auroit besoin pour plaire de la belle nature ; rien ne masqueroit ses imperfections, & les yeux du spectateur n’étant plus éblouis par le clinquant & les colifichets, se fixeroient entièrement sur le comédien. Je conviens, lui dis-je, que l’uni en tout genres exige de grandes perfections ; qu’il ne sied qu’à la beauté d’être simple, & que le déshabillé ajoute même à ses graces ; mais ce n’est ni la faute de M. Diderot, ni celle de M. de Cahusac, si les grands talens sont rares ; ils ne demandent l’un & l’autre qu’une perfection que l’on pourroit atteindre avec de l’émulation : le genre qu’ils ont tracé est le genre par excellence ; il n’emprunte ses traits & ses graces que de la nature.

Si les avis & les conseils de MM. Diderot & de Cahusac ne sont point suivis, si les routes qu’ils indiquent pour arriver à la perfection sont dédaignées, puis-je me flatter de réussir ? Non sans doute, Monsieur, & il y auroit de la témérité à le penser.

Je sais que la crainte frivole d’innover arrête toujours les artistes pusillanimes ; je n’ignore point encore que l’habitude attache fortement les talens médiocres aux vieilles rubriques de leur profession ; je conçois que l’imitation en tout genre a des charmes qui séduisent tous ceux qui sont sans goût & sans génie ; la raison en est simple, c’est qu’il est moins difficile de copier que de créer.

Combien de talens égarés par une servile imitation ! combien de dispositions étouffées & d’artistes ignorés, pour avoir quitté le genre & la manière qui leur étoient propres, & pour s’être efforcés de saisir ce qui n’étoit pas fait pour eux ! combien de comédiens faux & de parodistes détestables qui ont abandonné les accens de la nature, qui ont renoncé à eux-mêmes, à leur voix, à leur marche, à leurs gestes & à leur physionomie, pour emprunter des organes, un jeu, une prononciation, une démarche, une expression & des traits qui les défigurent, de manière qu’ils n’offrent que