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Sans négliger, comme les anciens, les parties de l’ordonnance d’où résulte un bon ensemble, il faudroit préférer, comme eux, la beauté d’un petit nombre d’objets à l’abondance d’une grande composition. Mais il est diverses classes de talent, égales peut-être, quoique différentes entre elles. Il faut livrer à l’impulsion de la nature les artistes qu’elle a moins destinés à nous plaire par la beauté parfaite de chaque objet, que par une autre partie de l’art que les Artistes appellent la grande machine.

Le Statuaire, ne faisant ordinairement qu’une seule figure, est sévèrement astreint au devoir de la faire belle. Si la Nature ne l’a pas formé pour sentir & exprimer le beau, il n’est pas né pour son Art, mais d’autres parties pourroient lui procurer des succès dans la Peinture.

Aucun Peintre ne diffère plus de Raphaël que Rubens, & cependant tous deux ont des droits à l’admiration de la postérité. Raphaël, Statuaire, eût approché des Artistes de l’ancienne Grèce : Rubens, Statuaire, eût, peut-être, égalé le Puget dans une seule partie, le sentiment des chairs, & lui auroit été fort inférieur dans tout le reste ; ou plutôt le caractère propre de son Art l’auroit forcé de se faire une manière toute différente de celle que nous lui connoissons, & de s’appliquer à la correction des formes.

Jeune Artiste, cherchez à vous connoître : examinez le penchant que vous a donné la Nature. Si en voyant les tableaux des grands Maîtres, vous êtes principalement touche de la beauté des formes, de l’expression des passions douces, de l’imitation de la nature parfaite, du sentiment de la sagesse, d’un rendu précis & cependant animé, ne vous livrez pas à des compositions qui supposent plus de fougue que de précision, plus d’abondance que de sensibilité, plus de richesse que de perfection. Ne traitez par choix que des sujets qui vous permettent toute l’étude dont vous êtes capable. Mais si, dans les ouvrages de vos prédécesseurs ou de vos contemporains, c’est ce qu’on appelle la grande machine qui vous charme le plus, livrez-vous aux vastes compositions, étonnez par la variété, la richesse, le nombre de vos conceptions ; peignez des batailles, des assemblées publiques, des sacrifices solemnels, des émotions populaires ; que, sous vos pinceaux, Virginius frappe sa fille à la vue de tout un peuple ; assemblez tout l’Olympe aux nôces d’Alcide & d’Hébé ; creez une foule ivre de vin & de joie pour lui faire accompagner le triomphe de Bacchus. Que votre couleur soit brûlante comme votre imagination ; &, par l’enthousiasme que vous inspirerez aux spectateurs, étourdissez-les sur les incorrections qu’entraînera l’impossibilité de faire autant d’études attentives que vous leur présenterez d’objets. Mais souvenez-


vous que si l’on vous pardonne quelques défauts d’exactitude, un rendu moins précis, le choix d’une nature moins parfaite, des exagérations dans les mouvemens & dans les formes, on ne vous permettra pas des incorrections trop choquantes, & que sur-tout vous prenez l’engagement de racheter chacune de vos fautes par autant de beautés. Vous lutteriez vainement, il est vrai, contre Raphaël, le Dominiquin, le Poussin ; travaillez donc à rendre Rubens, ou Paul Véronèse aux Amateurs des Arts. Proposez-vous toujours plus que le but auquel il vous est permis d’atteindre ; c’est le seul moyen de vous forcer vous-même à employer toutes vos forces. N’oubliez pas que la grande machine de la composition exige les grands effets de la couleur. Une composition chaude, exécutée d’un pinceau sec, & n’offrant qu’une couleur froide, fait un contraste barbare dont le plus foible connoisseur est choqué. Cherchez, dès vos premières esquisses, à disposer vos grouppes, votre site, vos accessoires, de manière qu’ils puissent vous procurer des masses imposantes d’ombres & de lumières, & que même indépendamment de la couleur, on voie de grands effets dans le clair-obscur de votre composition.

La profusion est vicieuse, même dans les plus vastes ordonnances. Au lieu de donner de la beauté & de l’expression, dit Gérard Lairesse, elle diminue au contraire l’effet d’un ouvrage. Il faut éviter aussi, même dans les compositions d’un petit nombre de figures, de laisser de trop grands espaces vuides, & de présenter en quelque sorte une toile nue. Mais ce n’est pas par des accessoires inutiles que l’espace doit être en quelque sorte rempli ; c’est par le sujet même. On connoît des tableaux, justement estimés à plusieurs égards, où l’Architecture l’emporte trop sur l’objet principal. On pourroit dire que ce sont des Tableaux d’Architecture ornés de figures, où du moins les deux genres y sont tellement partagés, qu’on ne sait auquel des deux on doit les rapporter.

Tous les Amateurs connoissent les règles triviales de la composition ; elles sont à leur portée : il ne faut qu’en avoir entendu parler une fois pour les retenir. Mais ce n’est qu’une longue étude & une pratique raisonnée qui apprennent les grands principes du Dessin & les autres parties capitales de l’Art. C’est donc sur la composition qu’ils se rejettent le plus volontiers pour faire briller leurs connoissances aux yeux de ceux qui sont plus ignorans ou plus modestes qu’eux. Ils élèvent leur voix magistrales contre les compositions modernes qui ne pyramident pas bien, qui grouppent mal, qui ont des trous, &c. Mais ils se taisent si le tableau est du Dominiquin, du Poussin, de le Sueur : une conscience secrette leur dit qu’ils pourroient