Aller au contenu

Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/555

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
414 HIS HIS


seule- à s’établir, mais à être consacrées. C’est donc d’après le besoin du merveilleux, que les Poëtes & les Peintres ont représenté des actions, des scènes, des accidens, des qualités, des formes même surnaturelles. Lorsque des circonstances heureuses les ont guidés à la perfection, ils ont étudié & approfondi, non seulement les mystères de l’ame & de l’esprit humain, mais la construction du corps, ses proportions, ses mouvemens ; ils ont procédé d’abord, par le choix le plus recherché : mais pour faire ce choix, & pour en embellir leurs ouvrages, il a fallu que les Peintres, & les Sculpteurs sur-tout, qui s’occupent des formes visibles, représentassent le corps humain sans voile. Plus ils l’ont observé, comparé, étudié nud, rlus ils ont fait de progrès vers la perfection à laquelle l’Art éclairé les invitoit d’atteindre.

Ils se sont donc écartés des usages les plus universels, ceux des vêtemens, ainsi que de plusieurs autres obstacles qu’ils trouvoient dans la nature, & qu’ils ont fait céder à de sublimes conventions. Après avoir franchi ces pas importans, ils se sont avancés dans les régions fabuleuses, & d’après les conventions reçues, ou d’après leur propre imagination, ils ont créé des Dieux humains, & des hommes divinisés ; ils les ont représentés habitant & maîtrisant les élémens. Leurs scènes ont été, tantôt le vague des airs, & les régions olimpiennes ; tantôt la surface mobile, & les abymes des eaux ; tantôt enfin des Royaumes souterrains & embrâsés par des feux éternels.

Alors leurs méditations, leurs observations, leurs études, leurs talens exercés se sont aggrandis, & il a été difficile sans doute que ceux qui ont réussi, ne se regardassent pas comme au-dessus des Artistes, qui peignoient, à la vérité, ce que la nature humaine a d’intéressant, les mœurs, les passions, mais qui les représentoient sans offrir tous les mouvemens, & toutes les beautés dont elles sont susceptibles. Il étoit difficile encore que hommes instruits, les hommes en qui l’imagination imagination prenoit l’essor, n’eussent pas, pour des Artistes qu’ils voyoient s’élever à cette hauteur, une considération particulière.

Voilà donc, à ce que je pense, l’origine & la marche de cette prééminence, dont, jusqu’à présent, ont joui les Artistes qu’on nomme Peintres d’histoire. Que quelques uns de ceux, qui approchent le plus de ce genre, & qui y touchent, pour ainsi dire, mettent en avant la perfection de leurs talens, & l’imperfection trop commune de la plupart de ceux qui les rivalisent : ce moyen ne sera jamais que captieux, parce qu’il suffit, comme je l’ai dit, de leur opposer le nombre des Peintres immortels, qui, malgré les difficultés que j’ai dési-


gnées, ont acquis cette supériorité de talent qui semble décider la question.

Quant à ceux qui penseroient que la perfection ou la vérité physique de quelque imitation que ce soit, est ce qui doit décider seul du degré d’estime que mérite un ouvrage de peinture, leur opinion se peut réduire à ceci : des animaux représentés avec une parfaite vérité, offrent un tableau qui a une plus grande perfection d’imitation qu’un sujet historique imparfaitement représenté. Il est impossible de leur donner un plus grand avantage ; mais si vous admettez une perfection égale, les difficultés vaincues par le Peintre d’histoire, je le repète encore, l’emportent tellement sur celles qu’a eu à surmonter le Peintre de genre, qu’on ne peut balancer à déciderpour le premier.

Si l’Artiste de genre insistoit, en observant que le Peintre, qui parvient à faire une plus exacte illusion, est celui qui doit l’emporter, puisqu’il exerce un art, dont l’objet est de tromper ; on pourroit a’ors opposer les genres les uns aux autres, & l’on prouveroit aisément que les objets les plus communs, représentés par des espèces d’ouvriers en peinture, trompent quelquefois plus complettement, en prenant ce terme dans son sens propre, que ne peuvent jamais faire tous les genres les plus estimables. En effet, une canne peinte & supposée attachée par un clou à une muraille, engagera même un artiste à avancer la main pour la prendre. Certainement, jamais l’animal le plus parfaitement peint, ni à plus forte raison son sujet d’histoire, un paysage, n’ont pu occasionner une semblable illusion.

En voilà assez je crois, pour mettre au moins sur la voie de cette discussion ceux qui ne sont pas assez instruits pour essayer d’y prendre parti. Mais j’ajouterai que si les Peintres d’histoire veulent conserver leur prééminence, il est plus important eue jamais qu’ils redoublent de soin, d’étude & de courage. On a vu au mot Artiste une partie des qualités qui leur sont nécessaires. Je me refuse à développer pourquoi ces qualités deviennent rares, & leur réunion plus difficile : mais je repèterai, que l’ennemi le plus dangereux de la peinture, est le luxe & la trop grande richesse répandue dans une nation. Lorsque ces deux vices des Empires sont parvenus à leur degré extrême, les ouvrages des Arts entrent dans la classe des somptuosités, des superfluités, des meubles enfin soumis à la mode. Ils ne peuvent manquer alors d’être assujettis au caprice personnel, & d’une autre part, l’évaluation de leur prix, qu’on est bientôt porté à regarder comme le tarif de leur mérite, dépend du grand nombre des hommes riches qui ne consultent que leur goût particulier ou la fantaisie régnante.