Page:Encyclopédie méthodique - Mathématique, T01.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lxxxij
DISCOURS

d’enrichir les Mathématiques, & d’en reculer les limites. Tous deux ont été des génies du premier ordre. Sans prétendre décider la prééminence entr’eux, je crois que Jacques avoit plus de profondeur, Jean plus de flexibilité, & de cet esprit qui se porte indifféremment vers tous les objets. Le premier a donné plusieurs ouvrages, tels que la Théorie des spirales, le Problême de la courbe élastique, celui des Isopérimètres, & le livre de Arte Conjectandi, qui n’appartiennent qu’à lui seul, & où il a déployé un vraiment original : le second embrassoit toutes les parties des Mathématiques ; il avoit un art particulier de proposer & de résoudre de nouveaux problêmes : quelque sujet que l’on présentât à ses recherches, il y entroit promptement, & il n’en a jamais traité aucun, sans le montrer sous le jour le plus lumineux, & sans y faire quelque découverte importante. Je compare Jacques Bernoulli à Neuton, & Jean Bernoulli à Léibnitz.

En proposant le problême des Isopérimètres, Jacques Bernoulli y en avoit joint un autre : c’étoit de trouver parmi toutes les cycloïdes d’une même origine, & construites sur une même base horizontale, celle qu’un corps grave doit suivre pour arriver, dans le moindre tems possible, à une ligne verticale donnée de position. Jean Bernoulli le résolut sans peine & il lui donna même plus de généralité : à la simple ligne verticale, il substitua une courbe quelconque, & il fit voir que la cycloïde de la moindre descente étoit celle qui coupoit cette courbe à angles droits. Sa solution étoit fondée sur les propriétés de la courbe synchrone, dont la nature est de couper une infinité de cycloïdes, ou de courbes semblables, de manière que les arcs soient parcourus en tems égaux. Il restoit cependant une difficulté. La courbe synchrone est facile à tracer par points ; mais, pour en trouver l’équation différentielle il falloit soumettre au calcul & à la loi de continuité le passage de l’une quelconque des courbes coupées, à la courbe contiguë. Jean Bernoulli ne put y parvenir : il s’en ouvrit par lettres à Léibnits, qui surmonta la difficulté[1], & qui donna, en cette rencontre, une extension très-importante à l’analyse infinitésimale : j’entends la méthode de différentier de curva in curvam, en faisant varier le paramètre. La réponse de Léibnitz saisit de joie & d’admiration Jean Bernoulli, qui aussi-tôt développa cette idée, & en fit plusieurs applications intéressantes. Ils convinrent ensemble de tenir la méthode cachée, jusqu’à ce qu’ils s’en fussent servis pendant un tems suffisant. Léibnitz ne l’a jamais publiée lui-même ; car il se bornoit souvent à ouvrir

  1. Voyez Leibnitii & Joan. Bernoulli commercial epistolicum, tome Ier, page 319.