sidéré qui attaquoit, sans raison & sans pudeur, sa réputation & sa bonne foi. La Société Royale nomma des Commissaires pour examiner tous les écrits qui regardoient ce sujet, & elle les publia, en 1712, avec le rapport des Commissaires, sous ce titre : Commercium Epistolicum de Analysi promota. Sans être absolument affirmative, la conclusion du rapport est que Keil n’a pas calomnié Léibnitz. J’observerois que Neuton étoit alors président de la Société Royale, s’il avoit montré le desir, ou s’il avoit eu le pouvoir de faire pencher la balance en sa faveur.
La Société Royale n’avoit ni le droit, ni l’intention de juger le procès sans appel ; & puisqu’elle a fait imprimer les pièces qui y sont relatives, elle a laissé la liberté de les discuter & d’en dire son avis. Je demande donc la permission de me livrer à cet examen : j’y apporterai toute l’impartialité dont je suis capable. Léibnitz & Neuton me sont indifférens : je n’ai reçu d’eux, si je puis employer une expression de Tacite, ni bienfait, ni injure. La sublimité de leur génie exige un profond hommage ; mais on doit encore plus de respect à la vérité.
Neuton tenant de Ia nature une intelligence supérieure, & né dans un tems où Hariot, Wren, Wallis, & Barrow, avoient déjà rendu les Mathématiques florissantes en Angleterre, eut de plus l’avantage de recevoir, dans son enfance, les leçons de Barrow à l’université d’Oxford. Toutes les forces de son génie se portèrent vers ce genre d’études : les succès qu’il y obtint furent prodigieux, Fontenelle lui a appliqué ce que Lucain avoit dit du Nil : qu’il n’a pas été donné aux hommes de le voir foible & naissant. Dès l’âge de vingt-cinq ans, il avoit jetté les fondemens des grandes théories qui l’ont rendu depuis si fameux. Léibnitz, plus jeune de quatre ans, ne trouva en Allemagne que de médiocres secours pour son instruction. Il se forma, pour ainsi dire, tout seul. Son génie actif & dévorant, secondé par une mémoire extraordinaire, embrassoit toutes les branches des connoissances humaines : littérature, histoire, poésie, droit des gens, sciences exactes, physique, &c. Cette multiplicité de goûts nuisit nécessairement à la rapidité de ses progrès dans chaque genre. Il ne s’annonça donc, comme un grand Mathématicien, que sept ou huit ans après Neuton.
Ces deux grands hommes possédoient la nouvelle Analyse long- tems avant que de la mettre au jour. Si la priorité de la publication emportoit la priorité de l’invention, Léibnitz auroit gain de cause : mais ce moyen n’est pas suffisant pour prononcer avec assurance ; & il faut remonter à des faits antérieurs, appuyés sur des titres authentiques.
