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ARI ARI 209 elles ont pris leurs positions, il s’ensuit non-seulement que le monde est unique, mais qu’il s’est formé de lui-même, nécessairement & de toute éternité, c’étoit le dogme favori d’Aristote (1) ; & par conséquent que Dieu n’a rien fait dans aucun temps, ni d’aucune manière, pour arranger les sphères, ni pour les former : tout s’est fait, tout se conserve par les seules forces de la nature : natura viribus, non deorum. De nat. deor. 3. 11. (2).

A la bonne heure que les grandes parties aient été formées & placées ainsi ; mais le mouvement qu’elles ont chacune à leur manière, & quelquefois dans des sens contraires ; mais les organisations de toutes espèces, qui remplissent le monde sublunaire ; tout cela vient-il des seules qualités naturelles des elémens ? Revenons sur nos pas.

Au-dessus de la sphère des étoiles, qui est la dernière de toutes, est assis le moteur suprême, qui meut sans se mouvoir, parce qu’il est acte pur, & qu’en lui il n’y a rien en puissance ; ce qui ne seroit pas, s’il pouvoit se mouvoir ou être mu : car se mouvoir ou être mu, c’est passer de la puissance à l’acte.

Comment donc peut-il mouvoir ? Aristote nous l’explique par une comparaison (3). Dieu meut comme l’objet meut l’appétit. Mais si cela est, Dieu ne meut point, puisque l’objet ne meut que comme cause occasionnelle, & non comme cause physique. Les sphères qui se meuvent, & les astres qui se meuvent avec elles, ne sont donc point mues physiquement par le premier moteur.

(1) De Coelo, I. 8. 9. 10. & 2. 1. Et Phys. 8. 1 & 2. Aristote, faisant le monde éternel, raisonnoit plus juste que les autres philosophes. Il supposoient tous que la matière étoit érernelle & qu’elle avoit le mouvement par elle-même. En partant de-là, Aristote disoit : ou le mouvement actuel du monde est naturel, ou il est contre nature. S’il est contre nature, c’est un dèsordre, un état violent : aucun philosophe ne le dit. S’il est naturel, c’est donc celui que la matière a par sa nature de toute éternité. Le mouvement actuel, qui fait l’ordre du monde, est donc éternel ; le monde l’est donc lui-même. Ce raisonnement, qui remplit les livres d’Aristote, tombe de lui-même, si on dit, comme les modernes, que la matière n’a par elle-même ni le mouvement ni le repos ; que ces deux états lui sont indifferens & quelle persévére également, soit dans l’un, soit dans l’autre, s’il ne survienr point de cause qui la fasse passer d’un état à l’autre.

(2)Tout ce qui est fait par nature, a en soi le principe de son mouvement & de son repos. Physiq. I. 1. text. 3. Et tout être qui a un pareil principe, a ce qu’on appelle nature. Ibid. text. 8.

(3) Métaph. 14. 8.

Philosophie anc. & mod. Tome I.

Par qui le sont-elles ? Par elles-mêmes ? Il le faut bien, puisqu’il n’y a point hors d’elles d’autre cause de leur mouvement. Ainsi la sphère des étoiles se meut par elle-même d’orient en occident, emportant avec elle celles de Saturne, de Jupiter, de Mars, qui se conforment à son mouvement plus ou moins, selon qu’elles sont plus proches ou plus éloignées d’elle (1).

Mais outre ce mouvement commun, les sphères des planètes en ont chacune un autre qui leur est propre, d’occident en orient : d’où peut-il venir ? D’un principe particulier, résidant en chacune d’elles, & résultant de leur substance. Il ne peut venir ni de Dieu, qui n’est point cause physique ; ni du mouvement des étoiles, auquel il est contraire : il faut donc qu’il y ait des principes moteurs, des ames ou natures particulières pour chacune des sphères planétaires, & des planètes.

Il en sera de même du monde sublunaire. Il y a d’abord l’influence sympathique de toutes les sphères, qui agissent sur lui à proportion de leurs forces & de leur distance. Il y a ensuite des principes particuliers, des entelechies, c’est-à-dire, des espèces d’ames, de natures attachées à chaque individu, pour le former, l’organiser, le conduire aux fins de son espèce. On ne dira point que ces ames sont des parcelles de la divinité, quand on sait que la divinité ne fait rien, même où elle est. Il faut donc dire que les êtres sublunaires sont mus & gouvernés par je ne fais quel principe de mouvement & de repos, résidant en eux, & résultant de leur composition & de leur organisation propre. C’est la doctrine du philosophe (2). On entend alors en quel sens il compare l’univers à la maison d’un père de famille, où il y a des enfans sages, qui ne font jamais que le bien ; (ce sont apparemment les moteurs des étoiles), des esclaves d’un caractère quelquefois rebelle ; (ce sont les moteurs des planètes) & des animaux domestiques, qui n’ont que l’instinct aveugle, & qui sont tantôt bien, tantôt mal, au hasard (3), parce que telle est leur nature : on en voit l’effet dans le monde sublunaire, où tout semble se gouverner au gré de la fortune.

C’est donc le caractère de chaque moteur qui décide de tout ce qui se fait, ou qui peut se faire dans chacun, & par chacun des êtres : c’est ce qui les conduit à leurs fins propres. Ce ca-

(1) De Coeo, I. 10.

(2) Phys. 2. 8.

(3) Méthaph. 14 10, p. 1025. A.

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