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De la liberté considérée comme le pouvoir de subjuguer notre raison par la force du choix.

Telle est l’idée que le docteur King[1] paroît vouloir nous donner de la liberté, lorsqu’il dit que la volonté semble avoir un si grand pouvoir sur l’entendement, que celui-ci une fois subjugué par le choix de la volonté, non seulement regarde comme mauvais ce qui est réellement bon, mais se voit aussi obligé à admettre comme vrai ce qui est faux. On conviendra sans peine avec moi, que l’homme, doué d’une pareille faculté, seroit l’être le plus déraisonnable & le plus inconséquent qu’on pût imaginer, & que rien au monde ne seroit plus imparfait que lui au moment où il s’aviseroit d’en faire usage. En effet peut-on concevoir rien de plus extravagant ni de plus absurde que le pouvoir de refuser, selon notre caprice, notre acquiescement à des propositions évidemment vraies, & de le donner au contraire à d’autres qui nous paroissent évidemment fausses, c’est-à-dire, de rejetter le témoignage de notre propre conscience ?

De la liberté considérée comme le pouvoir de vouloir ou de choisir le mal (reconnu pour tel) ou le bien indistinctement.[2]

Une pareille faculté dans l’homme regardé comme un être doué de sentiment, seroit une véritable imperfection, s’il est vrai que la misère en soit une dans sa nature. En effet, vouloir ou choisir le mal comme mal, c’est vouloir être misérable, c’est souhaiter sciemment sa propre destruction. Les mortels sont déjà assez malheureux par les faux jugemens & par les fausses démarches qu’ils font tous les jours, trompés par les apparences des objets, & entraînés par la fougue de leurs passions. Combien notre sort ne seroit-il pas encore plus triste & plus affreux, si, au lieu de choisir, comme il nous arrive souvent dans notre situation actuelle, le mal pour le bien, dont il a les apparences, nous étions les maîtres de choisir indifféremment le bien ou le mal, & de nous déterminer ainsi à notre gré en vertu de ce pouvoir décoré du nom de liberté ! Dans une pareille position, & avec une pareille liberté, nous ressemblerions à des enfans abandonnés à eux-mêmes, qui ne sauroient marcher, & qui ne font usage de leur liberté que pour tomber ; ou à des enfans, dans la main desquels on met un couteau, ou enfin à des jeunes danseurs de corde, qu’on laisse aller seuls sur la corde après les premières leçons, sans avoir personne auprès d’eux pour les retenir au cas qu’ils fassent quelque faux pas. Les inconvénients qu’entraîne nécessairement cette prétendue liberté ont même frappé les plus zélés partisans de ce systême[3] au point qu’ils ont reconnu « les êtres créés dans le séjour de la félicité suprême cessent d’être libres, c’est-à-dire, d’avoir la liberté de choisir le mal comme mal, & qu’ils sont alors inviolablement attachés à leur devoir en vertu de l’état heureux dans lequel ils se trouvent.[4] »

De la liberté considérée comme le pouvoir de choisir, dans des circonstances parfaitement égales, l’un ou l’autre de plusieurs objets indistincts ou semblables.

Telle est la définition que quelques auteurs ont donnée de la liberté ; mais à l’envisager même sous cet aspect, je ne vois pas qu’elle renferme aucune perfection. En effet ces objets, qu’ils appellent indistincts ou semblables, peuvent être regardés ou comme réellement différens l’un de l’autre, & nous paroissant semblables & indistincts uniquement à cause de notre défaut de discernement, ou bien comme exactement semblables l’un à l’autre. Or, plus nous aurons d’occa-

    le moins de compulsion ?] « Le motif qui prévaut n’est pas une raison active, mais seulement une raison passive d’agir ou de n’agir pas ». [Chub nous donne ici des différences de noms pour des différences de choses] « parce qu’il y a cette différence entre motif & nécessité physique, savoir que l’un force & l’autre ne fait qu’inviter : l’un conseille un être actif » [ voilà un conseil qui a bien l’air d’un commandement ! ] « & l’autre agit sur un être passif. D’où il suit que l’homme a autant le pouvoir & la liberté de rejetter le motif qui prévaut que celui qui ne prévaut pas. De plus, si les motifs agissent d’une manière irrésistible, alors le pouvoir actif doit inévitablement être excité à agir ou à ne pas agir dès qu’il y aura quelque motif présent à notre ame. Mais l’expérience démontre que cela n’est point, parce que le motif présent prévaut quelquefois & quelquefois point. De plus, si les motifs agissent d’une manière irrésistible, alors dans chaque occasion où deux motifs sont présents à l’esprit, dont l’un excite à agir, & l’autre à n’agir pas [ ce qui arrive souvent ], un homme sera dans la nécessité de faire & de ne pas faire une chose dans le même but, ce qui est contradictoire » [ point du tout, la contradiction n’est que dans les raisonnemens de Chub. Dans le cas qu’il propose, il arrivera de deux choses l’une : ou un homme agira, ou bien il n’agira pas ; quelque parti qu’il prenne, ce sera toujours le plus fort motif qui l’emportera. Au reste, je défie l’homme le plus inconséquent de rassembler plus de contradictions & d’absurdités en moins de lignes, que ne l’a fait Chub en cet endroit : c’est de pareils argumens qu’on peut dire, avec Tertullien : Etiam solûmmodò demonstrare, destruere est.

  1. Dans son livre de l’origine du mal déjà cité.
  2. Cheyné Philos. brinc. liv. 3. s. 13.
  3. « On ne peut pas dire que les bienheureux ayent la même liberté par rapport à la sainteté, qu’Adam avoit par rapport à l’innocence, & qu’ils puissent la perdre. Si cela étoit, leur bonheur seroit incertain, & par conséquent imparfait ». Bib. Ch. tom. 12. pag. 95.
  4. Œuvres de Bramhall, page 655.