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Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/221

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Les unes & les autres nous fatiguent également : ce qui ne devroit pas être, si la contemplation & la méditation étoient des actes d’un principe immatériel. L’action réciproque des pensées & des paroles les unes sur les autres prouve que les unes & les autres appartiennent au corps. Un mot entendu excite dans nous l’idée dont il est le signe extérieur : de même une idée présente à l’esprit, nous rappelle immédiatement le mot qui l’exprime. L’oubli de l’une ou de l’autre annonce quelque vice de l’organe, comme dans les enfans & dans les vieillards. Dans les uns, l’oubli vient de ce que les fibres des nerfs sont trop molles & trop lâches, & de ce que le cerveau trop humide n’a pas encore une consistance suffisante pour retenir les traces qui y sont faites, au lieu que dans les autres les fibres tant des nerfs que du cerveau sont trop séches & trop dures. Dans les personnes d’un âge mitoyen, le défaut de mémoire, & la lenteur de la conception viennent aussi de quelque cause qui affecte l’organisation du cerveau. La pensée, dans l’homme, étant une modification de la matière, on peut supposer que toutes les parties de la matière sont capables de la produire ou de la recevoir, non pas nécessairement à la vérité, & dans tous les temps, mais par une structure & une organisation particulière. Il en est, à cet égard, de la pensée comme de toutes les autres modifications que la matière ne produit ou ne reçoit qu’en vertu d’une certaine disposition ou texture de ses parties.

Ces principes suffisamment établis & développés, peuvent servir à résoudre les autres difficultés que M. Clarke se plaît à accumuler. Je pourrois donc me contenter de cette solution générale, & laisser le reste à faire au lecteur intelligent & à M. Clarke lui-même. Pour lui montrer néanmoins combien je suis porté à lui donner toute la satisfaction que mérite un savant aussi distingué par ses profondes lumières, je vais encore entrer plus avant, s’il est possible, dans le fond de la question, & traiter ce qui me paroît en être le point le plus essentiel.


Supposer dans la matière une propriété qui n’appartient point aux différentes parties dont le tout est composé, ce n’est pas supposer le tout sans parties, « mais plutôt supposer le tout différent de ses parties, & faire résulter une propriété particulière de l’assemblage & du concours d’autres propriétés différentes. Ainsi chaque homme est un particulier considéré en lui-même, quoique pour le constituer tel, il faille différentes propriétés qui ne sont point des hommes, mais qui concourent à faire un homme. Ainsi un particulier, dans la société civile, n’est qu’un individu considéré en lui-même : il n’est point le corps politique, il contribue seulement à le composer ; & le corps politique résulte de la réunion & du concours de plusieurs hommes d’un caractère, d’un génie, & d’un état très-différent ». Voilà ce que j’avois dit en moins de mots.

M. Clarke me répond : « Si le tout ou le résultat, que vous appellez une propriété particulière, est entièrement ou spécifiquement différent de chacune des propriétés particulières qui y contribuent, ce qui est évident par rapport à un systême de matière pensant qui résulte de parties qui ne pensent point, vous verrez, si vous voulez bien y faire attention, qu’il est géométriquement sûr qu’un tel composé est plus grand que toutes les parties ensemble, parce qu’il contient quelque chose de plus que toute & chacune de ses parties ».

Pour sentir plus aisément la justesse ou le défaut de cette réponse, appliquons-la à la rondeur. Car si elle prouve démonstrativement que la pensée ne peut pas se trouver dans un systême de matière dont les parties prises séparément ne pensent point, elle prouver de même que la rondeur ne peut pas être la modification d’un corps dont les parties prises séparément ne sont pas rondes. Cependant, dans un corps rond d’un pouce de diamètre, il est impossible qu’aucune partie de la surface soit parfaitement ronde comme le corps total, & il n’est pas nécessaire qu’aucune des parties internes le soit : ainsi il est très-probable que dans plusieurs corps ronds il n’y a pas une seule partie qui soit ronde. Il n’est pas plus essentiel à la rondeur d’être une somme d’autres rondeurs, qu’au sentiment intérieur d’être une somme de sentimens intérieurs ; & elle est une figure spécifiquement différente de toute autre figure, comme le sentiment intérieur diffère du mouvement circulaire. Cela posé, mettons la rondeur à la place de la pensée.

M. Clarke dit donc : « Si le tout ou le résultat, que vous appellez une propriété particulière, est entièrement & specifiquement différent de chacune des propriétés particulières qui y contribuent, ce qui est évident par rapport à un corps rond qui résulte de parties qui ne sont point rondes, vous verrez, si vous voulez bien y faire attention, qu’il est géométriquement sûr qu’un tel composé est plus grand que toutes ses parties ensemble, parce qu’il contient quelque chose de plus que toutes les & chacune de ses parties ».

Loin qu’il soit géométriquement sûr qu’un tel composé, soit le principe pensant ou le corps rond, soit plus grand que toutes ses parties ensemble, il me paroît démontré précisément égal à toutes ses parties ensemble. En effet qu’est-ce que la rondeur dans le corps rond, sinon le résultat précis de tel