Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/389

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J’ai obſervé cet effet depuis long-temps, & principalement dans les aurores boréales de 1770, 1777, &c. qui ont été très belles. Une grande partie de l’hémiſphère céleſte me paroiſſoit en flammes, des rayons lumineux, des colonnes brillantes, des jets reſplendiſſans occupoient tout l’eſpace du ciel que mes regards pouvoient embraſſer ; mais je m’aperçus bientôt, en obſervant avec plus d’attention, que pluſieurs de ces jets de lumière n’étoient qu’une pure illuſion d’optique, occaſionnée par la forte impreſſion des jets qui brilloient réellement & qui ſubſiſtoient encore, lorſque ma vue ſe promenoit, pour ainſi dire, dans les eſpaces intermédiaires qui les séparoit ; pour m’en aſſurer, je portois rapidement mes regards ſur une partie du ciel où aucune lumière ne brilloit, & j’aperçus encore pluſieurs jets lumineux. Il n’y a aucun doute que dans cette portion de la voûte céleſte, il n’y avoit aucun rayon brillant, aucune lance ou pyramide, parce que j’avois pris la précaution de faire examiner auparavant le même endroit du ciel par pluſieurs perſonnes qui, depuis pluſieurs inſtans, n’avoient point regardé l’aurore boréale, & dont les yeux, par conſéquent, étoient exempts des impreſſions de lumière que j’éprouvois. Cette expérience a été faite par moi & par diverſes perſonnes, dans des circonſtances de temps & de lieu très-différentes, ainſi elle peut être regardée comme hors de doute.

Toute impreſſion de lumière, forte ou étendue, produit cette illuſion. Dans une belle nuit d’hiver, lorſque nous portons nos regards ſur l’hémiſphère boréale céleſte, nous croyons voir un million d’étoiles, les plages du ciel nous paroiſſent preſque toutes couvertes d’aſtres étincellans ; c’eſt un fait dont tput le monde a été très-ſouvent témoin ; & cependant, comme il eſt prouvé en aſtronomie, le nombre en eſt beaucoup moindre : les catalogues de Flamſtéed & de l’abbé de la Caille, raſſemblés, ne contiennent que près de cinq mille étoiles ; mais les étoiles que nous pouvons apercevoir dans nos contrées, à la ſimple vue, n’excèdent pas le nombre de onze cents ; ſi nous croyons en voir une quantité beaucoup plus grande, ce faux jugement de notre ame vient de ce que portant nos regards dans un endroit du ciel voiſin de celui où nous avons réellement aperçu des étoiles, l’impreſſion que celles-ci ont faite ſur notre organe, ſubſiſte encore, & nous la rapportons à un lieu où il n’y a point d’objet. Perſonne n’ignore qu’un tiſon allumé & mû circulairement avec une certaine vîtesse, paroît décrire un cercle, d’écrire un cercle de feu ; vraie illuſion d’optique qui résulte de la durée de nos ſenſations ; l’impreſſion que le tiſon a faite, à l’inſtant où il étoit dans une portion de la circonférence de ce cercle, ſubſiste encore lorſque ce tiſon en produit dans les autres portions où il ſe trouve succeſſivement, & on doit conſéquemment aperçevoir un anneau de feu, mais ſi la vîteſſe circulaire diminue, l’effet s’évanouit, parce que chaque révolution eſt moindre que la durée de la ſenſation.

M. l’abbé Diquemare a fait des obſervations ſur la longueur de la queue des comètes qui peuvent confirmer le principe que nous venons d’établir. Ce savant a obſervé que les queues des comètes paroiſſoient plus longues qu’elles n’étoient réellement. En interpoſant un corps opaque entre la comète & ſes yeux, de manière à ne voir que l’extrémité de la queue, cette extrémité diſparut, quoiqu’il aperçut très-bien les étoiles qu’il avoit remarquées, l’inſtant précédent, à travers la lumière de la queue ; peu après avoir retiré le corps opaque, le bout de la queue reparut, & ſembla s’étendre auſſi loin que dans la-première obſervation ; cet effet étoit même ſi conſidérable, qu’en interrompant le tiers de la queue d’une comète du côté du noyau, les deux autres tiers diſparoiſſoient ; & qu’en ôtant le corps opaque, on voyoit reparoître les deux tiers. Cette épreuve, répétée pluſieurs fois par différentes perſonnes, a toujours eu le même ſuccès.

Il étoit naturel d’examiner ſi le jets & les lances brillantes qu’on apperçoit dans les aurores boréales, par l’effet d’une ſemblable illuſion  d’optique, ne paroîtroient pas avoir plus de longueur qu’elles n’en ont dans la réalité, & ſi le bout de ces lances ne diſparoîtroit pas par l’interpoſition d’un corps opaque, placé de telle ſorte que le lieu de l’origine fût caché. M. l’abbé Diquemare s’en aſſura dans l’obſervation de l’aurore boréale du 28 juin, où les lances furent moins foibles, moins ondoyantes & moins agitées que dans les autres apparitions de ce phénomène dont il avoit été témoin précédemment. Il trouva, en effet, que le bout de ces lances diſparoiſſoit à la vue, lorſqu’on interpoſoit quelque corps entre leurs parties les plus apparentes & les yeux ; mais cet effet eſt plus foible que ſur la queue des comètes, & ſur-tout de celle de 1769, il faut même, pour le ſaiſir, dit-il, que l’extrémité la plus déliée de la lance ſe trouve devant une étoile, afin de n’avoir aucun doute ſur ce que l’illuſion est due à la vue & non à l’imagination. Il faut auſſi que cette extrémité ſoit la plus foible poſſible, & que ces lances ſoient aſſez tranquilles pour recommencer pluſieurs fois l’obſervation ſur la même, en la trouvant juſtement auſſi longue, lorſqu’on a retiré le corps intermédiaire, qu’elle l’étoit auparavant ; les lances blanches paroiſſent préférables à celles qui ſont colorées ; cet effet dépend encore de la même cauſe, de l’impreſſion que fait ſur nos yeux une lumière vive, étendue & dégradée inſenſiblement par l’une de ſes extrémités ; cette impreſſion dure encore, lorſque nous étendons nos regards plus loin. On ne ſauroit donc douter que la longueur des rayons, des lances, des pyramides, &c. qui forment le brillant ſpectacle des aurores boréales, ne ſoit en partie