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Le vent qui ſouffloit de ce rumb, étoit aſſez fort. Il s’éleva des eſpèces de colonnes blanches ; dont les mouvemens d’ondulation les faiſoient reſſembler à des drapeaux flottans, & ils paroiſſoient ſuivre la direction du vent. À neuf heures ces colonnes diſparurent, mais les mouvemens d’ondulation étoient continuels, & inondoient à chaque inſtant le ciel d’une matière lumineuſe, qui ne reſſembloit pas mal à des flocons de laine qui auroient été le jouet du vent. Enfin, le phénomène s’étendit en longueur depuis le nord juſqu’à l’oueſt nord-oueſt ; il étoit peu élevé ſur l’horiſon, & ſa baſe étoit enfumée ; les mouvemens d’ondulation continuèrent toujours ſans beaucoup de variation dans la forme du phénomène, juſqu’aſſez avant dans la nuit ; le ciel ſe couvrit enſuite, il tomba un peu d’eau vers quatre heures du 24 ; le ciel ſe découvrit enſuite au lever du ſoleil ; le vent qui étoit toujours nord-oueſt étoit très-froid, puiſque le thermomètre à mercure ne marquoit que 5 degrés & demi de dilatation, & celui d’eſprit-de-vin, 5 degrés & un quart.

Pendant |a durée de l’aurore boréale, l’aiguille aimantée n’a point varié ; elle n’avoit point eu non plus de variation particulière les jours précédens ; le thermomètre à mercure étoit à 7 degrés un quart ; le baromètre, à 27 pouces 6 lignes 3 quarts ; l’hygromètre à plume de M. Buiſſar, à 20  degrés un quart ; le vent souffloit aſſez fort du nord-oueſt, & l’air étoit froid.

Pour ne pas trop multiplier ces ſortes d’obſervations, & donner trop d’étendue à cet article, je rapporterai ici, avec quelque détail, une obſervation que je fis à Béziers en Languedoc, le 3 décembre 1777, ſur les ſix heures du ſoir environ : c’eſt une des plus belles qu’on ait vues depuis long-temps : j’en communiquai, dans le temps, la deſcription ſuivante à l’académie des ſciences de Béziers & à la ſociété royale des ſciences de Montpellier.

De grandes taches rouges répandues ſur différentes plages du ciel, vers l’orient, ſur-tout du côté du nord & du couchant, furent le prélude de la ſcène brillante qui ſe préparoit, & ce ſpectacle étoit ſi éclatant, ſi varié, & occupoit une ſi grande partie du ciel, qu’on ne ſavoit de quel côté porter la vue. À quelques degrés de hauteur au-deſſus de l’horiſon, on aperçut, à différentes diſtances, des nuages noirs & obſcurs d’une étendue plus ou moin grande. Une de ces nuées, ou plutôt l’apparence d’un nuage d’un plus grand volume que les autres, étoit directement au nord, beaucoup au-deſſous de l’étoile polaire ; ſon amplitude augmenta, & elle prit enſuite la figure d’un ſegment obſcur, de forme plutôt elliptique que circulaire. Un arc concentrique, ſemblable à un limbe blanc, ou à une petite bande d’une lumière blanche, ſurmontoit ce ſegment noir, dont les bords étant par conſéquent plus éclairés que le milieu, paroiſſoienr repréſenter, ſelon le langage des anciens, un gouffre ou l’entrée d’une caverne ; vraie illuſion optique qui eſt un effet de la dégradation de la lumière.

La lumière de cet arc parut aſſez uniforme pendant quelque temps ; enſuite elle éprouva quelques variations & des irrégularités dans ſa circonférence ; l’arc devint du côté de l’eſt ſeulement, crénelé en certains endroits, c’eſt-à-dire, que ſa lumière étoit interrompue par des intervalles obſcurs de la couleur du ſegment, & qui n’étoient point placés ſymétriquement. Cet arc lumineux parut d’abord à environ 15 degrés, enſuite il s’éleva à 25, & même après à 35 degrés au moins : ſon amplitude augmenta proportionnellement depuis 45 degrés à-peu-près, juſqu’à 75, & enſuite à 115 degrés.

Des colonnes lumineuſes, des rayons brillans, des jets & des faiſceaux de lumière ſembloient partir de différens points de la circonférence de cet arc lumineux ; un petit nombre paroiſſoit naître du ſein même du ſegment obſcur, & la plupart s’élançoient de divers endroits au-deſſus de l’arc lumineux. Ils s’étendoient tous plus ou moins à une très-grande hauteur, il y en avoit auſſi un grand nombre qui naiſſoient de divers point de l’horiſon, depuis l’orient juſqu’à l’occident, des deux côtés de l’arc lumineux ; & leur direction me parut toujours inclinée à l’horiſon. J’en vis qui paſſoient près des conſtellations des hïades, des pléiades, du bélier ; d’autres, par éricton, perſée, caſſiopée, par hercule & la tête du dragon, par l’aigle & le cygne. Une partie de cet appareil de lumière étoit projetée ſur cinq grandes taches ou bandes irrégulières d’une très-grande amplitude, plus longues que larges, qui étoient dans toute leur étendue d’un rouge de ſang, très-vif & fort éclatant, & dont la direction étoit encore oblique à l’horiſon. Trois de ces cinq taches étoient entre le nord & l’oueſt, & les deux autres vers l’eſt ; c’eſt ce qui faiſoit paroître plus vers l’occident que vers l’orient tout l’enſemble de ce phénomène ; d’ailleurs, le centre du ſegment obſcur & de l’arc lumineux n’étoit pas directement au nord, il déclinoit un peu vers l’occident d’été.

Les colonnes & les jets de lumière, les rayons & les faiſceaux lumineux qui s’élançoient de divers points de l’horiſon dans les limites déjà aſſignées, ou des taches rouges & de l’arc lumineux qui circonſcrivoit le ſegment obſcur, étoient de diverſes grandeurs & d’un éclat différent. Quelques-unes de ces colonnes & de ces rayons de lumière paroiſſoient ſe réunir aux-environs du zénith, & même paſſer ce point. Pour m’en aſſurer, je plantai perpendiculairement dans la terre un piquet, le long duquel je regardai, afin de me mettre en garde contre les erreurs de la vue & contre les