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Histoire d’un paysan.

Assis sur un banc, le lieutenant en uniforme. Il appuie son coude sur une malle ouverte, également posée sur le banc, à gauche. À droite une quinzaine de livres ouverts posés également. Le lieutenant a un livre ouvert en main. Chauvel est derrière, penché vers le lieutenant, également un livre ouvert à la main. Les deux hommes se regardent.
« Sais-tu bien que ça mène à la potence. » (Page 51.)

Puisqu’il refuse, c’est qu’il en aime une autre !… »

Elle tournait avec son balai, en me regardant par-dessus l’épaule. Je n’en pouvais pas entendre plus, et je montai l’échelle, tout pâle. Depuis le départ de Claude, Étienne et moi nous couchions en haut sous le chaume. J’étais dans la désolation. La mère en bas me criait :

« Ah ! tu te sauves… Je vois clair, n’est-ce pas, mauvais gueux ? Tu n’oses pas rester ! »

La honte m’étouffait. Je me jetai dans la grande caisse, les deux bras sur la figure, en pensant :

« Oh ! mon Dieu, est-ce possible ! »

Et j’entendais la mère crier de plus en plus fort :

« Oh ! l’imbécile !… Oh ! le gueux !… »

Le père essayait de l’apaiser. Cela dura longtemps. Les larmes me couvraient la figure. Vers une heure seulement, tout se tut dans la baraque, mais je ne dormais pas, j’étais trop misérable ; je pensais :

« Voilà !… depuis dix ans tu travailles… Les autres partent… toi, tu restes ; tu payes les dettes de la maison ; tu donnes jusqu’au dernier liard pour soutenir les vieux ; et parce que tu ne veux pas le marier avec cette fille, pour attraper son bien, parce que tu ne veux pas épouser la chénevière, tu n’es plus bon à rien ; tu n’es plus qu’un Nicolas, une bête, un gueux ! »

L’indignation me gagnait. Le petit Étienne dormait doucement près de moi. Je ne pouvais

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