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L’AMI FRITZ.

Alors Fritz se mettait à rire aux larmes ; ils montaient ensemble prendre un verre de kirschenwasser, que le vieux rabbin ne dédaignait pas. Ils causaient en yudisch des affaires de la ville, du prix des blés, du bétail et de tout. Quelquefois David avait besoin d’argent, et Kobus lui avançait d’assez fortes sommes sans intérêt. Bref, il aimait le vieux rebbe, il l’aimait beaucoup, et David Sichel, après sa femme Sourlé et ses deux garçons Isidore et Nathan, n’avait pas de meilleur ami que Fritz ; mais il abusait de son amitié pour vouloir le marier.

À peine étaient-ils assis depuis vingt minutes en face l’un de l’autre, — causant d’affaires, et se regardant avec ce plaisir que deux amis éprouvent toujours à se voir, à s’entendre, à s’exprimer ouvertement sans arrière-pensée, ce qu’on ne peut jamais faire avec des étrangers, — à peine étaient-ils ainsi, et dans un de ces moments où la conversation sur les affaires du jour s’épuise, que la physionomie du vieux rebbe prenait un caractère rêveur, puis s’animait tout à coup d’un reflet étrange, et qu’il s’écriait :

« Kobus, connais-tu la jeune veuve du conseiller Roemer ? Sais-tu que c’est une jolie femme, oui, une jolie femme ! Elle a de beaux yeux, cette jeune veuve, elle est aussi très-aimable. Sais-tu