Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/78

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là, quand vous aviez le malheur de perdre, c’était fini ; sur cent, souvent pas un ne revenait : l’idée de partir définitivement ne pouvait presque pas vous entrer dans la tête.

Ce jour-là donc, ceux du Harberg, de Garbourg et des Quatre-Vents devaient tirer les premiers, ensuite ceux de la ville, ensuite ceux de Wéchem et de Mittelbronn.

De bon matin je fus debout, et les deux coudes sur l’établi, je me mis à regarder tous ces gens défiler : ces garçons en blouse, ces pauvres vieux en bonnet de coton et petite veste, ces vieilles en casaquin et jupe de laine, le dos courbé, la figure défaite, le bâton ou le parapluie sous le bras. Ils arrivaient par familles. M. le sous-préfet de Sarrebourg, en collet d’argent, et son secrétaire, descendus la veille au Bœuf-Rouge, regardaient aussi par la fenêtre.

Vers huit heures, M. Goulden se mit à l’ouvrage, après avoir déjeuné ; moi je n’avais rien pris, et je regardais toujours, quand M. le maire Parmentier et son adjoint vinrent chercher M. le sous-préfet.

Le tirage commença sur les neuf heures, et bientôt on entendit la clarinette de Pfifer-Karl et le violon du grand Andrès retentir dans les rues. Ils jouaient la marche des Suédois ; c’est sur cet air que des milliers de pauvres diables ont