Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/81

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Catherine me serrait le bras, la tante Grédel nous suivait.

En face du corps de garde, j’aperçus de loin le colporteur Pinacle, sa balle ouverte sur une petite table, et, tout à côté, une grande perche garnie de rubans qu’il vendait aux conscrits.

— Je me dépêchais de passer, quand il me cria :

« Hé ! boiteux, halte ! halte !… arrive donc… je te garde un beau ruban. Il t’en faut un magnifique à toi… le ruban de ceux qui gagnent ! »

Il agitait par-dessus sa tête un grand ruban noir, et je pâlis malgré moi. Mais, comme nous montions les marches de la mairie, voilà que justement un conscrit en descendait : c’était Klipfel, le forgeron de la Porte-de-France, il venait de tirer le numéro 8, et s’écria de loin :

« Le ruban noir, Pinacle, le ruban noir !… Apporte… coûte que coûte ! »

Il avait une figure sombre et riait. Son petit frère Jean pleurait derrière en criant :

« Non, Jacob, non, pas le ruban noir ! »

Mais Pinacle attachait déjà le ruban au chapeau du forgeron pendant que celui-ci disait :

« Voilà ce qu’il nous faut maintenant… Nous sommes tous morts… nous devons porter notre deuil ! »