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L’AMI FRITZ.

sa nature, ne vit rien et continua tranquillement :

« Je me suis aussi mariée à dix-huit ans, monsieur Kobus ; cela ne m’a pas empêchée de bien me porter, Dieu merci !

« Pelsly, connaissant nos biens, avait pensé, depuis la Saint-Michel, à Sûzel pour son garçon. Mais avant de rien dire et de rien faire, il est venu lui-même, comme pour acheter notre petit bœuf. Il a passé la journée de la Saint-Jean chez nous ; il a bien regardé Sûzel, il a vu qu’elle n’avait pas de défauts, qu’elle n’était ni bossue, ni boiteuse, ni contrefaite d’aucune manière ; qu’elle s’entendait à toute sorte d’ouvrages, et qu’elle aimait le travail.

« Alors il a dit à Christel de venir à la fête de Bischem, et Christel a vu hier le garçon ; il s’appelle Jacob, il est grand et bien bâti, laborieux ; c’est tout ce que nous pouvons souhaiter de mieux pour Sûzel. Pelsly a donc demandé hier Sûzel en mariage pour son fils. »

Depuis quelques instants Fritz n’entendait plus : ses joies, ses espérances, ses rêves d’amour, tout s’envolait ; la tête lui tournait. Il était comme une chandelle des prés, dont un coup de vent disperse le duvet dans les airs, et qui reste seule, nue, désolée, avec son pauvre lumignon.