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Le brigadier Frédéric.

tant de jours heureux, depuis que le père Bruat m’avait donné sa fille en mariage.

Je m’arrêtai tout court. Jean, qui me suivait dans le sentier, fit aussi halte auprès de moi, et, les mains appuyées sur nos bâtons, nous regardâmes longtemps comme en rêve.

Tous les jours d’autrefois défilaient devant mes yeux.

La petite maisonnette, dans ce jour clair et froid, se voyait comme peinte sur la côte, au milieu des hauts sapins ; son toit de bardeaux gris, sa cheminée où montait un filet de fumée, ses fenêtres, où Marie-Rose posait au printemps ses pots d’œillets et de réséda, le treillage où grimpait le lierre, le hangar et ses piliers vermoulus, tout était là devant nous, on aurait cru pouvoir les toucher.

En voyant cela, je me disais :

« Regarde bien, Frédéric, regarde ce coin du monde si paisible, où s’est passée ta jeunesse, et qu’il faut quitter, la tête grise, sans savoir où aller ; cette pauvre baraque, où ta chère femme Catherine t’a donné plusieurs enfants, dont quelques-uns reposent près d’elle sous la terre, à Dôsenheim. Regarde !… et rappelle-toi les