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Le brigadier Frédéric.

La grand’mère, elle, se réveillait comme un escargot dans sa coquille, ses yeux éteints brillaient de colère ; j’en étais surpris moi-même. Et quand je me mis à dire que l’Oberfœrster si nous refusions de servir la Prusse, nous accordait vingt-quatre heures pour quitter la baraque, son indignation éclata d’un coup :

« Quitter la maison ! dit-elle, en se levant toute courbée, mais cette maison est à moi ! Je suis venue au monde dans cette maison, voilà plus de quatre-vingts ans, et je ne l’ai jamais quittée. C’est mon grand-père Laurent Duchêne qui vint y demeurer le premier, voilà plus de cent trente ans, et qui planta tous les arbres fruitiers de la côte ; c’est mon père Jacquemin, qui, le premier, traça le chemin de Dôsenheim et les sentiers de Tommenthal ; c’est mon mari Georgis Bruat et mon gendre Frédéric, ici présent, qui firent les premiers semis de hêtres et de sapins, dont les forêts s’étendent maintenant sur les deux vallées ; et tous, de père en fils, nous avons vécu honnêtement dans cette maison ; nous l’avons gagnée : nous avons entouré le jardin de haies vives ; chaque arbre du verger est de nous ; nous avons économisé pour ache-