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Le brigadier Frédéric.

ter la prairie, élever la grange et l’étable… Nous chasser de cette maison ! Ah ! les misérables… En voilà des idées d’Allemand !… Eh bien, qu’ils viennent ! C’est moi, Anne Bruat, qui veux leur parler ! »

Je ne pouvais pas calmer cette pauvre vieille grand’mère ; tout ce qu’elle disait était juste ; mais, avec des gens qui soutiennent que la force est tout, et que la honte et l’injustice ne sont rien, à quoi bon tant parler ?

Comme elle venait de se rasseoir tout essoufflée, je lui demandai d’un ton bien triste, mais ferme :

« Grand’mère, voulez-vous que j’accepte du service chez les Allemands ?

— Non, fit-elle.

— Eh bien, dans quarante-huit heures il faudra quitter tous ensemble cette vieille maison.

— Jamais ! cria-t-elle. Je ne veux pas !

— Et moi, lui dis-je, le cœur brisé, je vous dis qu’il le faut ! Je le veux !… C’est le premier ordre que je vous donne depuis mon arrivée ici… Vous le savez, j’ai toujours eu pour vous le plus grand respect. Que ces Allemands soient maudits mille fois, pour m’avoir forcé de vous