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Le brigadier Frédéric.

College, L’humiliation de prier des gueux que je détestais n’était pas la moindre de mes douleurs : moi, un vieux forestier français, un vieux serviteur de l’État, la tête grise et sur le point d’avoir ma retraite, aller m’abaisser à supplier des ennemis aussi durs, aussi fiers de leurs victoires obtenues par le nombre !… Enfin, pour la grand’mère, pour la veuve du vieux Bruat, je pouvais tout supporter !…

Un grand pendard en uniforme et gros favoris roux me fit attendre longtemps dans le vestibule ; on déjeunait à la commandature, et seulement vers une heure j’eus l’ordre de monter. En haut, un autre factionnaire me retarda encore, et puis, ayant eu la permission de passer dans une grande chambre sur le jardin de l’Arsenal, je frappai à la porte du commandant, qui me cria d’entrer. Je vis là un homme fort, la face pourpre, qui se promenait en passant les manches de son uniforme et soufflant dans ses joues d’un air de mauvaise humeur. Je lui racontai humblement ma position, et je lui remis mes certificats, qu’il ne se donna même pas la peine de lire et qu’il jeta sur la table.

« Tout cela ne signifie rien, dit-il brusque-