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Le brigadier Frédéric.

même, je criais, regardant les arbres et levant la main.

« Maintenant, la malédiction est sur nous !… Maintenant la pitié, la honte du crime, le remords de la conscience sont abolis !… Il ne reste plus que la force. Qu’on nous extermine, qu’on nous égorge ! Que les scélérats étranglent la vieille femme dans son lit, qu’ils pendent la fille à la porte, et moi qu’ils me hachent en morceaux !… Cela vaudra mieux… Cela sera moins barbare que de nous arracher des bras l’un de l’autre ; de forcer le fils d’abandonner la mère au lit de mort !… »

Et j’allais, je trébuchais. Les forêts, les ravins, les rochers me paraissaient pleins de ces vieux brigands, de ces Pandours dont j’avais entendu parler durant mon enfance ; je croyais les entendre chanter autour de leurs feux, en se partageant le pillage ; toutes les vieilles misères d’avant la grande Révolution me revenaient. La trompette lointaine des Prussiens en ville, qui beuglait ses trois notes sauvages dans les échos, me semblait réveiller ces anciens scélérats réduits en poussière depuis des siècles.

Tout à coup la vue des baraques du Graufthâl