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Le brigadier Frédéric.

En voyant que tout marchait selon mes idées, presque tous les soirs, lorsque je revenais de mes tournées sous bois, dans le sentier qui longe la vallée de Dôsenheim, au moment où le soleil se couche, où le silence s’étend avec l’ombre des forêts, dans les grandes prairies de la Zinzelle, — ce silence de la solitude à peine troublé par le murmure delà petite rivière, — presque chaque soir, en marchant tout pensif, je me représentais la paix que mes enfants auraient dans ce coin du monde ; leur bon ménage ; la naissance des petits êtres, que nous porterions à Dôsenheim, pour les baptiser dans la vieille église, et d’autres choses semblables qui m’attendrissaient et me faisaient dire :

« Seigneur Dieu, c’est sûr, ces choses arriveront !… Et quand tu seras vieux, Frédéric, bien vieux, le dos plié par l’âge, comme la grand-mère Anne, et la tête toute blanche, tu t’en iras tranquillement, rassasié de jours, en bénissant la jeune couvée. Et longtemps après toi, ce brave Jean Merlin, avec Marie-Rose, se rappelleront ton souvenir. »

En me figurant cela, je faisais halte régulièrement dans le sentier au-dessus de la maison