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Le brigadier Frédéric.

Je mis mon caban de toile cirée, et je partis sous la pluie toujours plus forte. Dans nos terrains sablonneux, l’eau coule et ne détrempe pas le sol. J’arrivai vers six heures à la Petite-Pierre, où tout le monde se tenait enfermé dans les maisonnettes. À la pointe du vieux fort, dans les airs, veillait une sentinelle hors de sa guérite.

Quelques instants après, j’entrais dans le bureau de M. l’inspecteur. Il était là seul, se promenant, la tête penchée, l’air soucieux ; et comme je relevais mon capuchon, il me dit en s’arrêtant :

« C’est vous, père Frédéric ! Vous venez chercher des nouvelles et prendre des ordres ?

— Oui, monsieur l’inspecteur.

— Eh bien, les nouvelles sont mauvaises ; la bataille est perdue, nous sommes repoussés de l’Alsace, cent cinquante mille Allemands s’avancent pour entrer en Lorraine. »

Un froid m’avait passé le long du dos, et, comme il se taisait, je murmurai :

« Tout est prêt, monsieur l’inspecteur ; il ne s’agit plus que de distribuer la poudre de mine et de commencer les abatis ; nous sommes tous prêts, nous attendons. »