Page:Ernest-Charles - Le Théâtre des poètes, SLA.djvu/93

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aimable émotion. Elle est un beau conte pour les grands enfants. Leconte de Lisle intervient, et plus rien ne reste de cette ironie discrète et de cette fantaisie qui tantôt raille et tantôt s’attendrit. L’Apollonide c’est Ion desséché. Oh oui ! vraiment, Leconte de Lisle est plus près du temps où les dieux apparaissaient aux hommes ; mais qu’Euripide est donc un poète plus agréable !

Aussi bien lorsqu’un adaptateur français se flatte de faire la loi aux tragiques grecs et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et terribles leçons, on a le droit d’exiger qu’il ait des idées nettes et cohérentes.

C’est beaucoup exiger d’un poète. Leconte de Lisle, en dépit de sa volonté systématique de rétablir la vérité grecque déformée par Eschyle et par Euripide, hésite et se contredit. Il ne semble pas toujours que les mœurs de la Grèce des légendes lui soient très familières, et lui qui en remontre aux tragiques, il dénature à son tour la vérité grecque.

Lorsque Agamemnon revient vainqueur de Troie, Clytemnestre qui va l’assassiner l’abuse par ses compliments. Elle parle beaucoup et Agamemnon l’arrête :

« Femme tu as mesuré la longueur de ton discours sur la longueur de mon absence. » Clytemnestre, cependant, suit son dessein, et, comme pour exciter la jalousie des dieux à qui les orgueilleuses prospérités des mortels sont importunes, elle fait étendre sous ses pas des tapis de pourpre. Agamemnon écarte d’abord ces impertinents hommages, puis il cède par condescendance. Leconte de Lisle reproduit la scène, mais il la rend méconnaissable et inexplicable. Clytemnestre accueille Agamemnon par un long discours. Elle ment avec une solennelle éloquence :