Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sein. Elles savent trop bien que tout changement d’équilibre les conduirait à une mort certaine. Et qu’on examine leur attitude depuis 1815 : on les verra toujours s’efforçant d’éviter la guerre et de comprimer l’émeute.

Tant que la question sociale n’avait pas été posée dans des termes inéluctables, les nations ne guerroyaient-elles pas sans cesse ? Ne les voyait-on pas courir aux armes pour un morceau de terre contesté, pour une prééminence méconnue, pour un intérêt monarchique lésé, pour une insulte faite au drapeau ? Alors, les deux rives du Rhin et de la Manche, les deux versants des Alpes et des Pyrénées résonnaient de chants de défi, de triomphe, de vengeance et de rage.

Comment se fait-il qu’en moins d’un demi-siècle, tous ces chants nationaux aient cessé, que toutes ces haines se soient adoucies, que toutes ces épées soient rentrées aux fourreaux, que toutes les langues et tous les intérêts privés soient confondus ? Comment se fait-il qu’on ne trouve plus guère de patriotes purs que parmi ces vieillards mutilés qui peuplent les hôtels des Invalides, ou parmi ces révolutionnaires de la tradition qui rêvent la délivrance de l’Europe par la France armée, sanglante, terroriste et malheureuse comme en 93 ? Pourquoi les despotes se meurent-ils d’ennui sur les trônes, et les chefs démagogues dans l’exil ? Que sont devenus les vieux enthousiasmes, les enrôlements volontaires, les levées en masse qui faisaient trembler les rivages des Océans ? Pourquoi, lorsqu’une guerre universelle menace notre existence, nos généraux et nos soldats regrettent-ils ainsi leur existence oiseuse ? Pourquoi n’ont-ils plus souci ni d’avancement ni de gloire ? Pourquoi courent-ils au feu de l’ennemi, comme les écoliers au collège ? Pourquoi la diplomatie, à la vue courte, trône-t-elle sur des glaives brisés et des canons muets ?…