Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/296

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bulles de gaz comprimées trop longtemps. Des gouvernements éphémères se superposent aux masses furieuses, étouffent un instant leurs voix retentissantes, et passent, renversés, déchirés, comme l’écume légère qui nage sur les torrents. On entend à la fois les cris des hommes que le despotisme comprime, les clameurs de la guerre, les soupirs d’agonie des vieux civilisés, et les premiers mots qu’articule le jeune socialisme. Toutes les races, toutes les familles se mêlent ; les éléments sociaux se dispersent, se réunissent et s’agitent sans repos. La matière humaine, triturée, recombinée de mille façons, bouillonne et gronde comme le sang vermeil détaché de la vigne généreuse. Que de réputations, de partis, de gouvernements sont faits et défaits dans le temps qu’il faut au papillon pour brûler ses ailes ! Que de constitutions à peine élaborées et déjà détruites ! que de systèmes, de plans, d’opinions sans avenir ! Que de disputes vaines ! Que d’améliorations gigantesques terrassées par le souffle froid du Hasard !

En ce temps-là, une tête d’homme ne sera pas plus précieuse qu’une graine de pavot, et l’on ne tiendra pas plus compte des écrits et des paroles que du bourdonnement des vertes demoiselles. Les hommes se hâteront, se coudoieront pour arriver aux places qu’ils convoitent. Les intérêts périclitants, les existences en danger se fraieront un chemin à travers la foule avec les ongles et les dents. Les convictions profondes, les instructions solides, les idées originales seront étouffées sous la peur ; on n’étudiera rien à fond ; on recherchera des difficultés littéraires à vaincre ; on n’écrira plus que des brochures ; les principales querelles seront des querelles de mots.

L’Occident ravagé par mille dominations rivales, chaque jour à nouveau partagé, rappellera la Grèce de Persée, l’Italie de l’Exarchat, des Goths et des Lombards, la Bysance des Comnène et des Paléologue, l’Alexandrie du