Page:Eugène Le Roy - Au pays des pierres, 1906.djvu/43

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descendit par la porte de la Bombarde entre les vergers enclos de murailles, traversa le ravin ombragé de noyers, d’amandiers, de figuiers, de grenadiers, où court un filet d’eau venant de la fontaine des Angles, et prit le roidillon qui monte à la plaine. Là, il enfila le chemin de Virazel, comme s’il allait voir des tabacs.

On était en pleines vendanges. De tous les côtés, on voyait des gens embesognés à cueillir le raisin, et le Breton croisait souvent des « montures », chevaux, mulets ou ânes, qui portaient des « comportées » de vendange à la ville. Lorsque la vigne se trouvait en bordure du chemin, le maître lui faisait la politesse coutumière de le convier à goûter le raisin ; mais Kérado, pressé, remerciait et passait. En approchant du carrefour des Bos, il regardait curieusement autour des pins, lorsque soudain, près d’une petite grange ombragée par un sorbier, il aperçut la belle Reine portant un panier. À mesure qu’il avançait, il se demandait s’il allait s’arrêter, et il hésitait, craignant d’éveiller les soupçons des parents. Mais bientôt il fut tiré d’embarras. Devant la grange, le coutelier était installé, et « boulait » — ce qui est à dire écrasait le raisin dans une comporte avec une fourche de châtaignier, à trois dents. — L’homme était de joyeuse humeur, la vendange abondait et elle était bien mûre ; aussi, lorsque sa pratique fut tout près de lui, il le héla :

— Hé ! monsieur Kérado, sans vous commander, venez un peu tâter notre raisin !