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Page:Eugène Le Roy - Carnet de notes d’une excursion de quinze jours en Périgord, 1901.djvu/11

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Dans l’après-midi, Robert et moi nous sommes promenés aux environs et nous avons vu extérieurement le château. L’enfant est sous le charme de cette bonté simple, de cette cordialité généreuse avec lesquelles nous avons été accueillis. Puis nous faisons la sieste à l’ombre, dans un bois de pins, bercés par un bruissement de mer lointaine.

En rentrant, je m’arrête un instant à contempler la chapelle funéraire où dorment les défunts de la maison. Ils sont là six que j’ai connus pleins de vie, depuis l’aïeul qui foutrassait bien un peu lorsque le déjeuner tardait, mais qui était si jeune sous ses cheveux blancs, jusqu’au petit-fils disparu au seuil de la jeunesse. Ils sont là tous, à deux pas de chez eux ; de la porte on voit l’entrée de la chapelle, et cette vue n’évoque point de terreurs funèbres, mais seulement le souvenir mélancolique des défunts qui dorment là. Il semble que le petit édicule qui les abrite soit une dépendance, comme une annexe, de cette maison autrefois si vivante et si pleine, où il ne reste plus qu’une pauvre veuve priant pour ses morts.

Nous comptions repartir le lendemain matin ; mais le moyen de quitter cette bonne vieille maison où la bonté même en personne nous retient ? Le départ est remis au jour suivant.

Après déjeuner, nous poussons notre promenade jusqu’au parc de Fayolle. C’est là, dans ces bois, appelés autrefois Forêt de Fayolle, jusqu’aux alentours de Chante-Géline, que les régiments protestants provençaux de Mouvans, furent défaits par les catholiques de Brissac et de Strozzi, venus de Mensignac. Le brave Mouvans y fut tué, mais son corps ne put être retrouvé. Pierre Gourde, son compagnon, fut relevé parmi les morts, déjà dépouillé de sa chemise blanche et de sa belle fraise mignonnement froncée et gaudronnée. Beaucoup de fuyards furent tués dans les bois par les gens du pays, et ce fut en manière de représailles que Coligny fit massacrer, de sang-froid, deux cent soixante paysans, dans une salle du château de Lachapelle-Faucher. Beau pendant aux férocités brutales de Montluc et aux cruautés sadiques de Montpensier ! Et c’est à ce temps où nul, catholique ou huguenot, n’était sûr du lendemain, que des insensés voudraient nous ramener.

En revenant, nous manquons le dolmen de Peyre-Brune et nous rentrons à Segonzac.

Dans le petit bourg on écoule, et les voisins apportent, selon la vieille coutume, une bouteille pour faire goûter leur vin. À dîner, je tâte de tous ces crûs et je mange comme un convalescent : il n’y a pas d’apéritif qui vaille l’air vif de ces plateaux du Périgord. Puis après avoir longuement devisé d’autrefois, moi en dégustant de l’eau-de-vie de sorbes, nous allons nous coucher à dix heures.