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Page:Eugène Le Roy - Carnet de notes d’une excursion de quinze jours en Périgord, 1901.djvu/16

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Eymet est une jolie petite ville où le moderne coudoie le passé. Il reste de ce passé une vieille tour carrée et des pans de murs avec une poivrière d’angle rasée. La place carrée, aux arcades ogivales, a du caractère.

Arcades de la place à Eymet

Nous avons bien déjeuné à l’hôtel de… ? bonne et familiale maison protestante où on fait largement les choses.

Après déjeuner, nous flânons par la ville et nous nous promenons sous les arcades, autour de la place. Un des convives qui nous pilote, me dit que la semaine beaucoup de jeunes filles sont assises devant leur porte, sur de hauts escabeaux, et enfilent des perles. Je regrette d’être venu ici un dimanche. De la place, nous allons au pont. Le Dropt ne roule pas ses eaux vertes ; il les laisse croupir. En revenant, nous voyons passer les enfants de l’école laïque, conduits aux vêpres par un instituteur, laïque aussi. Je ne pense pas qu’il le fasse pour son plaisir ; il doit y avoir là-dessous quelque profonde combinaison de politique scolaire locale.

Tandis qu’Yvon prend quelques vues, je vais au temple, édifice moderne, qui est peut-être bâti sur l’emplacement de celui qui fut démoli par un arrêt du Conseil du 9 septembre 1671. Le pasteur qui est allé évangéliser à Montcarret, je crois, est remplacé par un lecteur. Il y a là une quarantaine de personnes, femmes et enfants : je n’aperçois, outre le lecteur et le concierge, qu’un seul homme ; c’est à peu près comme aux vêpres de notre village. Devant la chaire, quelques jeunes filles chantent un cantique ; puis celui qui tient la place du pasteur lit le premier chapitre de l’Évangile selon saint Jean,

« La Parole était au commencement… » Cette lecture finie, les jeunes filles chantent un autre cantique que le lecteur leur indique par son numéro ; puis il récite une sorte d’homélie, d’exhortation pieuse.

Tandis qu’il parle d’une voix lente et grave, je pense à la puissance de l’idée qui a conservé, dans quelques coins du Périgord, la semence de la Réforme. Ni les guerres religieuses, ni les proscriptions en masse, ni les massacres, ni les exécutions juridiques, ni l’exil, ni les persécutions sanglantes, ni les galères, ni la destruction des temples par arrêt, ni la révocation de l’Édit de Nantes, ni les dragonnades, ni la spoliation des charges, ni la confiscation des biens, ni le vol des enfants, ni la privation de l’état civil, ni la dispersion des familles, ni les persécutions hypocrites