Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/131

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tous deux de l’obscurité sinistre des bois. Enfin, sur les onze heures, nous vîmes sur la lisière de la forêt se dresser dans le ciel noir les toits pointus du château de l’Herm, et ma mère pressa le pas en contournant le coteau pour éviter le village. En arrivant au découvert, le ciel se montra gris, rayé de bandes noirâtres avec de grands nuages qui couraient vers l’est poussés par le vent de travers. En rencontrant les fossés de l’enceinte, ma mère les longea et, s’arrêtant en face de la porte extérieure, la tête haute, les yeux brillants, les cotillons fouettés par le vent, me dit :

— Mon drole, ton père est mort là-bas aux galères, tué par le monsieur de Nansac : tu vas jurer de le venger ! Fais comme moi !

Et suivant le rite antique des serments solennels, usité dans le peuple des paysans du Périgord depuis des milliers d’années, elle cracha dans sa main droite, fit une croix dans le crachat avec le premier doigt de la main gauche et tendit la main ouverte vers le château.

— Vengeance contre les Nansac ! dit-elle trois fois à haute voix.

Et moi, je fis comme elle et je répétai trois fois :

— Vengeance contre les Nansac !

Cela fait, tandis que les grands chiens hurlaient au chenil, ayant côtoyé les maisons du village endormi, nous fûmes prendre le vieux grand chemin royal qui passe près de l’Herm et