geant vers le feu ses petits pieds et ses mains roses, où transparaissait le sang. D’autres fois, je levais la tête et je regardais vers la porte qui, me semblait-il, allait s’ouvrir pour la laisser entrer. Le poignard que je lui avais enlevé était fiché dans une planche au chevet de ma couche, et quelquefois je le maniais, essayant la pointe sur un de mes doigts, et le bleu sombre de la lame d’acier me rappelait la couleur de ses yeux.
Au sortir de l’hiver, un dimanche de mars, par un beau soleil, je fus saisi d’une terrible envie de la revoir. Il y avait tantôt deux mois que je ne l’avais pas rencontrée, car l’hiver avait été dur, la neige avait tenu longtemps, et il me semblait qu’il y avait dix ans. J’étais mû par un sentiment instinctif qui me portait de son côté, tout de même que l’eau coule sur la pente, que la flamme monte en l’air, que la plante se tourne vers le soleil. Je pris mon fusil, desseignant d’aller du côté du domaine où elle demeurait, avec l’espoir qu’en rôdant autour je l’apercevrais sans être vu. Mais lorsque je fus près de La Granval, soudain la pensée du défunt curé Bonal me revint et, avec elle, comme une bouffée de révolte, les souvenirs de ma jeunesse et la mémoire des miens morts de misère et de désespoir.
Je m’arrêtai coup sec, effrayé de cet anéantissement de ma volonté : « Misérable ! me dis-je,