Page:Eugène Le Roy - L’Année rustique en Périgord, 1921.djvu/65

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des malheurs immérités accablent ; les victimes des fléaux de la nature ou de la férocité de l’homme. Le petit propriétaire paysan qui doit quelques cent pistoles sur son bien, si la gelée, la grêle, la ravine, ou la sécheresse, lui enlèvent sa récolte, le voilà dans une mauvaise posture. Quant à lui, il vivra mal, très mal, sans se plaindre : il y a été habitué. Mais le créancier est là qui veut le pacte convenu, ou tout au moins les intérêts, que le malheureux est dans l’impossibilité de payer.

Si, comme il arrive souvent, il y a une série de vaches maigres, l’homme est perdu sans ressource. Sa dette fait la boule de neige ; il la voit grossir d’année en année, et bientôt il est noyé par l’hypothèque qui monte, monte toujours. Alors les poursuites commencent, puis vient l’expropriation à grands frais, frustatoires souvent, et l’éviction de la famille du petit bien qui la nourrissait, de la maisonnette qui l’abritait : père, mère, enfants s’en vont… où ?

Quelques-uns se font journaliers, manœuvres, domestiques de terre et vivent misérablement. Les vieux et les petits droles prennent le bissac ; les plus forts s’en vont dans les villes et parfois disparaissent dans les remous des bas-fonds de la société.

Il en est aussi qui, recrutés par des agences, émigrent au-delà de l’Atlantique. Sur les quais des ports, on les voit assis sur leurs pauvres bagages, attendre le départ du bateau. La mère, morne et triste, allaite un enfançon à sa mamelle pendante. Les autres petits sont là, regardant, ébaubis, le mouvement de la rade, tandis que le père, sombre, muet, désespéré, debout près du groupe familial,