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Page:Eugène Le Roy - L’Année rustique en Périgord, 1921.djvu/90

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le paysan n’est pas comme les gens des villes qui se lamentent s’il pleut lorsqu’ils veulent aller à la promenade. Le campagnard sait qu’il faut de la pluie en hiver, et beaucoup, sans quoi son puits tarirait, ou sa fontaine se dessècherait. Il faut que les réservoirs souterrains où s’alimentent les sources, se remplissent, afin de donner pendant les mois d’été une eau fraîche et pure, bien filtrée par la terre… Ainsi pense vaguement l’homme, et il prend patience.

Il y est façonné depuis longtemps d’ailleurs. Dès son enfance il supporte les intempéries des saisons, contre lesquelles toute révolte est inutile. Il a appris par expérience à combien d’aléas inquiétants sa récolte future est exposée ; il sait que peut-être il sera obligé de se serrer le ventre ; mais du moins il ne redoute pas la famine, ce fléau presque permanent autrefois, au point que sur soixante-dix-huit années, de 987 à 1066, le moine Glaber compte quarante-huit famines qui traînaient après elles la peste, le mal des ardents et les loups.

Sans connaître l’historique de ces famines, le paysan a conservé la tradition de cette terrible question de la faim qui épouvantait ses pères. De là cette espèce de vénération pour le pain sauveur, et cette constante préoccupation de n’en pas laisser perdre une miette.

Depuis les temps désolés du moyen-âge où on a vu dévorer des cadavres arrachés à la fosse, et vendre de la chair humaine au marché, jusqu’à la fin des temps modernes, la terreur de la famine a pesé sur le peuple des campagnes. Il n’était pas rare de voir alors les paysans brouter l’herbe et