Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/33

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confiscation des biens, ni le vol des enfants, ni la privation d’état-civil, ni la dispersion des familles, ni les sournoises tracasseries des Jésuites, ni le maquignonnage des consciences officiellement organisé par les intendants, — aucune de ces mesures iniques, furieuses, cruelles, barbares, poursuivies durant un siècle, n’avait pu vaincre l’entêtement des huguenots dans leur foi : les églises réformées de Sainte-Aulaye et de Laroche-Chalais, dans la Double, étaient là pour l’attester.

Et Daniel pensif se disait que ce que n’avait pu faire la violence, la science le faisait. Son bisaïeul avait ramé sur les galères du roi avec Marteilhe ; son grand-père, qui avait bâti la maison du Désert, était un calviniste rigide ; son père, disciple de Rousseau, était un déiste, et lui, Daniel, le dernier de la famille, un pur mécréant. En quatre générations, la race avait passé de la foi à l’incrédulité, de l’enthousiasme religieux à l’indifférence raisonnée. L’héroïsme des ancêtres semblait accuser les descendants, et pourtant, — Daniel en avait le sentiment bien net, — il y avait là une transformation plutôt qu’une déchéance : son père avait été digne des aïeux, et lui-même ne serait pas indigne de son père…

Et il continua son chemin, lentement, la tête basse, écartant de son bâton les brandes encore mouillées. Autour de lui, dans les bruyères et les landes, et sous bois, dans la palène, l’eau stagnait en terrain plat ou bien s’écoulait, de l’humus saturé, sur les pentes faibles, jusqu’aux premiers plissements du sol. Là elle formait de petits filets fluant sous les hautes herbes, vers une combe où ils se réunissaient en un ruisseau qui s’en allait, avec le renfort d’imperceptibles affluents sourdant de partout, se perdre dans