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Page:Eugène Le Roy - La Damnation de Saint Guynefort.djvu/19

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la deuxième heure de matines, lorsque chantait le coq rouge du presbytère, les voisins entendaient parfois le bruit de coups sourds accompagnés de courts gémissements ; c’était le bon curé qui se macérait en tapant à tour de bras sur les sacs de blé de la dîme, rangés dans son corridor.

Peu à peu, le bruit des mérites de Guynefort se répandit en dehors de sa paroisse. De toutes celles d’alentour d’abord, et ensuite des pays circonvoisins, on venait à la fête votive de Saint-Pierre-es-liens qu’il avait instituée en son église, et qui tombait le premier du mois d’auguste appelé maintenant août. En ce jour solennel, la sainte maille était tirée de son reliquaire, et le curé se fatiguait à la faire baiser aux dévots venus en foule, dans la fiance que ce fer sacré leur communiquerait de sa force. Par exception, ce jour-là une soupière était disposée tout près, où les forains seuls déposaient leur offrande, car les naturels de La Noaillette étaient admis gratis au baise-maille. Dans ce saint et fructueux jour, l’excellent curé ramassait force deniers nérets, ou noirs, et même pas mal de deniers blancs, d’argent. La dame châtelaine d’Hautefort, venue sur sa haquenée, baisait la première la sainte relique, comme de juste, et laissait tomber dans la soupière un agnel d’or, monnaie toute neuve alors, frappée par ordre du saint roi Louis IX.

Des fois il y avait de pauvres diables, manants et vilains, qui n’ayant pas même un denier noir, apportaient un présent en nature : gélines, poulets, canards, lièvres, conils, que le curé recevait en toute bonne volonté, pour ne contrister ces membres souffrants de Jésus-Christ.

En cette saison du commencement d’août, voisine de la canicule, il n’y a guère encore de fruits mûrs, ce qui est fâcheux pour une fête