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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/151

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des villes ou des gros bourgs, quelqu’un qui osât parler pour un autre que Bonaparte. Les bourgeois effarouchés par la Révolution cherchaient par tous les moyens à reprendre le dessus. Les riches, les nobles, les gros commerçants, les curés, tous ces gens-là criaient sans cesse contre la République ; elle ne pouvait durer.

Moi, j’en conviens, j’avais autre chose dans la tête. Plus j’allais, plus je pensais à Nancy. Comment ça se faisait, je n’en sais rien, mais toujours est-il que je me trouvais souvent sur son chemin, soit lorsqu’elle venait à notre fontaine dans la combe, ou qu’elle allait dans les terres, ou bien tout qu’elle faisait sortir ses brebis. Je l’arrêtais, lorsque nous nous rencontrions, et nous parlions un peu, et toujours j’étais étonné de son grand sens, et réjoui de sa franche honnêteté. Son parler me semblait aussi du tout changé et bien mieux, au prix d’auparavant. Il me semblait qu’elle avait appris beaucoup depuis trois ou quatre ans, et qu’elle avait plus d’esprit que les filles de son âge et de sa condition. Un jour que je le lui dis, elle m’apprit que la demoiselle Ponsie continuait de lui faire quelque peu la classe, le dimanche et le soir quelquefois, et lui prêtait des livres qu’elle étudiait en cachette du vieux Jardon, qui trouvait que c’était du temps perdu, lorsqu’elle laissait un moment sa quenouille. Je fus bien content de savoir ça, et je m’en sentis tout obligé envers cette pauvre demoiselle.

L’hiver vint, et avec lui les veillées au coin du feu, et les histoires dont Gustou avait un plein sac. C’était bien toujours les mêmes, mais comme il y en avait beaucoup, et qu’il y changeait souvent quelque chose, on ne s’en apercevait pas trop.

Étant tout petit, il me faisait tribouler en racontant l’assassinat du père Antier, le prieur des moines du moustier de Lafaye, entre Jumilhac et la forge