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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/169

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clair qu’une jeunesse comme Nancy ne pouvait pas continuer à venir dans une maison où il n’y avait que des hommes. Mon oncle se mit en quête, et le jeudi d’après, il arrêta l’ancienne servante du curé de Saint-Raphaël, qui n’avait pas trouvé à se placer depuis l’arrivée du nouveau curé qui avait amené la sienne. Nous nous figurions bonnement que cette femme, ayant toujours vécu avec des curés, serait ennuyeuse pour les affaires de religion, la messe, les fêtes, et la viande aussi, car nous ne regardions pas si c’était un vendredi ou un samedi pour mettre un morceau de salé dans la soupe, ou faire sauter une aile de dinde dans la poêle s’il venait quelqu’un. Mais nous fûmes fort trompés, car elle allait bien à la messe le dimanche, mais avec ça point de grimaces, faisant cuire de la viande les jours défendus, et en mangeant même quelquefois, disant à ça, que quand on était chez les autres, on ne choisissait pas son manger, et que mon oncle en porterait le péché. Des fois, quand Lajarthe était là, et que nous parlions de la politique, ou de choses de la religion, ou des curés, Gustou lui disait : Vous ne vous signez pas, Marion ?

Mais elle se mettait à rire, et disait qu’elle en avait entendu d’autres, et qu’elle ne se troublait pas si facilement. Son grand refrain était, que les curés sont des hommes comme les autres.

Par exemple, comme elle l’avait de coutume, elle voulait être maîtresse dans la maison, pour les choses qui regardent les femmes, et les gouverner à sa façon. Mais comme elle était bonne servante d’ailleurs, et que tout allait bien, mon oncle lui laissait couper le farci, comme on dit.

Moi, ce qui ne faisait pas mon affaire, c’est que je ne voyais plus Nancy aussi souvent. Je cherchais bien toutes les occasions de la rencontrer, mais ce n’était jamais que pour un petit moment ; en passant devant la Borderie, ou le long d’un chemin lorsque